Le gouvernement fédéral américain a rouvert ses portes le 12 novembre 2025 après 43 jours de fermeture, mettant fin au plus long shutdown de l'histoire des États-Unis. Selon le Congressional Budget Office (CBO), cette paralysie administrative a causé une perte économique permanente estimée à 11 milliards de dollars, tout en privant la Réserve fédérale des données cruciales dont elle a besoin pour sa prochaine décision sur les taux d'intérêt.
Un bilan économique sans précédent
Le shutdown, qui a débuté le 1er octobre faute d'accord budgétaire au Congrès, a directement affecté environ 1,4 million de fonctionnaires fédéraux. Parmi eux, 670 000 ont été mis au chômage technique tandis que 730 000 autres ont continué à travailler sans recevoir leur salaire.
Le CBO estime que les salaires non versés ont atteint 16 milliards de dollars à la mi-novembre. Cette absence de revenus s'est immédiatement répercutée sur la consommation des ménages, notamment dans les commerces de proximité et la restauration. L'indice de confiance des consommateurs de l'Université du Michigan a chuté à 50,7 en novembre, son niveau le plus bas depuis le pic inflationniste de 2022.
« Cette fermeture laissera une marque durable, à la fois par sa durée record et par les perturbations croissantes des programmes sociaux et des transports. »
— Gregory Daco, économiste en chef chez EY-Parthenon
Impact sectoriel : des perturbations en cascade
L'économie américaine a subi des effets multiples :
- Aviation : 6 % des vols programmés ont été annulés dans les 40 principaux aéroports en raison du manque de contrôleurs aériens
- Aide alimentaire : 42 millions de bénéficiaires du programme SNAP ont vu leurs prestations retardées ou suspendues
- Petites entreprises : 4,5 milliards de dollars de prêts garantis par l'État n'ont pas été distribués, affectant plus de 8 300 entreprises
- Éducation : près de 10 000 enfants dans 18 États ont perdu l'accès aux programmes Head Start
- Emploi privé : environ 60 000 emplois supprimés dans le secteur privé selon le Conseil économique national
Michael Feroli, économiste en chef de JP Morgan pour les États-Unis, évalue l'impact à « environ un quart de point de pourcentage par semaine sur la croissance du PIB ». Il avertit : « Avec des shutdowns aussi prolongés, il existe un risque que les pertes d'activité ne soient pas entièrement récupérées au trimestre suivant. »
La Fed navigue « dans le brouillard »
L'une des conséquences les plus problématiques de ce shutdown concerne la collecte des données économiques. Le Bureau of Labor Statistics, le Census Bureau et le Bureau of Economic Analysis ont tous suspendu leurs publications pendant la fermeture. Les rapports sur l'emploi d'octobre et les indices des prix à la consommation n'ont jamais pu être collectés et ne seront pas reconstitués.
« C'est probablement le pire moment pour que la Fed navigue à l'aveugle. L'économie pourrait être à un point d'inflexion. »
— Kenneth Kuttner, économiste à Williams College
Le président de la Fed, Jerome Powell, a résumé la situation par une analogie : « Que faites-vous quand vous conduisez dans le brouillard ? Vous ralentissez. » Cette prudence se reflète dans les débats internes du FOMC concernant une potentielle baisse des taux en décembre, avec des « opinions fortement divergentes » selon Powell lui-même.
Les marchés financiers restent résilients
Malgré l'incertitude, les marchés actions ont fait preuve de résistance. Le S&P 500 a progressé de 16,3 % depuis le début de l'année, tandis que les bons du Trésor ont joué leur rôle traditionnel de valeur refuge.
Selon Morgan Stanley, les shutdowns depuis 1976 ont historiquement eu un impact limité sur les actions, avec une performance moyenne positive de 4,4 % du S&P 500 pendant ces périodes. Le rendement du bon du Trésor à 10 ans a légèrement reculé, reflétant la demande accrue pour les actifs sans risque.
L'annonce de l'accord bipartisan le 9 novembre a déclenché un rallye, le S&P 500 gagnant 1,5 % en une séance, sa meilleure progression depuis mai.
Ce que cela signifie pour les investisseurs européens
Pour les épargnants français et européens exposés aux marchés américains, plusieurs enseignements se dégagent :
- Résilience des actions : les shutdowns n'ont historiquement pas déclenché de corrections majeures, les marchés anticipant généralement une résolution
- Opportunité obligataire : les bons du Trésor américain offrent actuellement des rendements attractifs (4,1 % à 10 ans) avec un profil défensif
- Incertitude Fed : l'absence de données économiques fiables rend la trajectoire des taux moins prévisible, augmentant la volatilité potentielle
- Dollar : la devise américaine a d'abord fléchi avant de se stabiliser, reflétant les doutes sur la gouvernance budgétaire
Un accord fragile et des risques persistants
Le vote du Congrès (222 voix contre 209 à la Chambre) a mis fin à la crise, mais n'a pas résolu tous les différends. La question des subventions à l'assurance santé (ACA) reste en suspens, avec une date limite au 31 décembre 2025.
Si ces subventions ne sont pas prolongées, les primes d'assurance sur le marché ACA pourraient plus que doubler pour certains Américains, selon une analyse du Kaiser Family Foundation. Une motion de procédure à la Chambre nécessiterait le soutien d'au moins 4 républicains pour forcer un vote, un scénario incertain.
Perspectives
Le CBO prévoit que la majeure partie des pertes de PIB sera récupérée au premier trimestre 2026, avec un rebond de 2,2 points de pourcentage de croissance annualisée. Toutefois, les 11 milliards de dollars de pertes permanentes représentent un coût réel pour l'économie américaine.
La Fed se réunira les 9 et 10 décembre pour décider de sa politique monétaire. Les marchés anticipent désormais à 80 % une baisse de 25 points de base, mais l'incertitude créée par le shutdown pourrait inciter le comité à davantage de prudence.
Pour les investisseurs, cette période rappelle l'importance de la diversification géographique et de l'exposition aux actifs de qualité en période d'instabilité politique.