Contexte et enjeux
Dans un mouvement qui marque un tournant dans la régulation financière américaine, le secrétaire au Trésor Scott Bessent a annoncé le 11 décembre 2025 une refonte en profondeur du Financial Stability Oversight Council (FSOC). Cette annonce intervient dans un contexte où l'administration cherche à stimuler la croissance économique en allégeant ce qu'elle considère comme des contraintes réglementaires excessives héritées de la crise financière de 2008.
Le FSOC, organisme créé en 2010 par la loi Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act, avait pour mission de surveiller les risques systémiques et de coordonner l'action des régulateurs financiers américains. Sous la présidence de Bessent, ce conseil va désormais privilégier une approche radicalement différente, axée sur la réduction des charges réglementaires plutôt que sur le renforcement de la supervision.
Les propositions concrètes de Bessent
Dans une lettre officielle publiée jeudi, Scott Bessent a déclaré que « trop souvent dans le passé, les efforts visant à sauvegarder le système financier ont abouti à des réglementations lourdes et souvent redondantes ». Il critique notamment l'approche de la précédente administration, qui avait renforcé les exigences réglementaires et intégré des préoccupations à long terme comme le risque climatique.
La réforme s'articule autour de trois axes principaux :
- Création de groupes de travail interagences chargés d'identifier où les réglementations imposent des « charges indues » et nuisent à la croissance économique
- Focus sur la résilience des marchés et des ménages plutôt que sur les contraintes préventives
- Mise en place d'un groupe de travail sur l'intelligence artificielle pour explorer les opportunités et risques de cette technologie dans le secteur financier
Bessent défend sa vision de la « Prospérité Parallèle » (Parallel Prosperity), où Wall Street et Main Street croissent ensemble. Selon lui, une croissance économique robuste renforce naturellement les institutions financières grâce à des bénéfices plus élevés et des tampons de capital plus solides, réduisant ainsi les risques de défauts imprévus.
Un potentiel de 2 600 milliards de dollars débloqué
Selon les analystes de Jefferies, l'assouplissement de la régulation bancaire américaine pourrait débloquer jusqu'à 2 600 milliards de dollars de capacité de prêt pour les grandes institutions financières. Cette estimation repose sur l'hypothèse que les banques américaines pourraient libérer environ 14 % de leur capital CET1 (Common Equity Tier 1), actuellement immobilisé par les exigences réglementaires.
Les grandes banques américaines détiennent approximativement 200 milliards de dollars de capital excédentaire par rapport aux exigences réglementaires existantes. La dérégulation permettrait de mobiliser ces fonds pour des activités de prêt, de fusions-acquisitions et d'investissements technologiques, ce qui pourrait stimuler la croissance des revenus et des parts de marché jusqu'en 2026.
Le secteur financier américain a d'ailleurs déjà montré des signes de vigueur anticipant ces changements. Au troisième trimestre 2025, les entreprises du secteur financier ont affiché une croissance des bénéfices de 12,89 %, nettement supérieure à l'estimation de 5,13 % formulée en début d'année.
Réactions politiques et critiques
La sénatrice Elizabeth Warren, démocrate du Massachusetts et figure de proue de la régulation financière, a vivement critiqué cette initiative. « Adopter cette approche laxiste de la stabilité financière exposerait notre système financier et notre économie à des risques accrus dans n'importe quel environnement économique », a-t-elle déclaré dans un communiqué.
Warren qualifie cette démarche d'« particulièrement imprudente » compte tenu des signaux d'alerte récents dans le système financier. Elle cite notamment les faillites récentes du prêteur automobile subprime Tricolor Holdings, du fabricant de pièces automobiles First Brands, et de la plateforme de rénovation domiciliaire Renovo Home Partners comme preuves de « fissures émergentes dans le système financier ».
La sénatrice rappelle également que la réglementation post-2008 a permis au système bancaire de traverser sans crise majeure des chocs considérables : la pandémie de COVID-19, la guerre en Europe, et le cycle de hausse des taux d'intérêt le plus abrupt de l'histoire de la Réserve fédérale.
L'avertissement de la Banque centrale européenne
Outre-Atlantique, la Banque centrale européenne (BCE) a publié en octobre 2025 un discours sans équivoque intitulé « Résister à la dérégulation : préserver la résilience bancaire dans un paysage financier en évolution ». L'institution y affirme que « le message aux gouvernements et aux régulateurs financiers est clair : ce n'est pas le moment de déréglementer ».
François Villeroy de Galhau, membre du Conseil des gouverneurs de la BCE, a même averti qu'un assouplissement excessif des normes dans l'industrie financière pourrait déclencher des tensions similaires à celles de 2008. La BCE souligne que « les bénéfices de la stabilité financière à long terme l'emportent indubitablement sur les gains à court terme de la dérégulation ».
L'institution européenne met également en garde contre les « effets de contagion » potentiels. Historiquement, les tensions financières provenant des États-Unis ont eu des répercussions significatives en Europe. La BCE insiste sur le fait que la solidité actuelle du secteur bancaire européen, soutenue par des niveaux de capital solides et des tampons de liquidité robustes, ne devrait pas être compromise par une « course vers le bas » réglementaire.
Contexte historique et enjeux systémiques
Pour comprendre l'ampleur du changement proposé, il faut revenir à la genèse du FSOC. Créé par le président Barack Obama en juillet 2010, le Conseil de surveillance de la stabilité financière était une réponse directe aux défaillances réglementaires exposées lors de la crise des subprimes. Avant 2008, aucun régulateur unique n'avait la responsabilité de surveiller et de traiter les risques systémiques qui transcendaient les institutions et les marchés individuels.
Le FSOC est composé de 10 membres votants et 5 membres non-votants, rassemblant l'expertise des régulateurs financiers fédéraux, des régulateurs d'État et d'un expert indépendant en assurance nommé par le président. Le secrétaire au Trésor préside le conseil, donnant à Bessent une influence considérable sur l'orientation de la régulation financière américaine.
Parmi ses pouvoirs, le FSOC peut désigner certaines entités financières non-bancaires comme « systémiquement importantes » (SIFIs), ce qui les soumet à une réglementation et une supervision plus strictes. Cependant, Bessent a précédemment critiqué la loi Dodd-Frank, affirmant qu'elle visait à mettre fin au « Too Big To Fail » (trop grand pour faire faillite) mais a fini par créer des entreprises « Too Small To Succeed » (trop petites pour réussir).
Implications pour les investisseurs européens
Pour les épargnants et investisseurs français, cette évolution de la régulation américaine comporte plusieurs implications :
Volatilité accrue des marchés : Un assouplissement significatif de la régulation pourrait augmenter le risque systémique et, par conséquent, la volatilité des marchés financiers mondiaux. Les portefeuilles diversifiés internationalement pourraient être plus exposés aux chocs en provenance des États-Unis.
Opportunités dans le secteur bancaire : Les banques américaines pourraient voir leurs marges s'améliorer grâce à l'allègement réglementaire. Les investisseurs exposés au secteur financier américain via des ETF ou des actions individuelles pourraient en bénéficier à court terme, tout en assumant un risque à long terme plus élevé.
Divergence réglementaire transatlantique : L'écart grandissant entre l'approche américaine et européenne de la régulation bancaire pourrait créer des opportunités d'arbitrage mais aussi compliquer l'allocation d'actifs internationale pour les investisseurs institutionnels.
Ce qu'il faut surveiller
Plusieurs développements méritent une attention particulière dans les mois à venir :
- Le G20 2026 : Les États-Unis accueilleront le sommet du G20 en 2026 avec la « promotion de la croissance économique et de la dérégulation » comme priorité principale. Les décisions prises lors de ce sommet pourraient influencer les standards réglementaires mondiaux.
- Les actions concrètes du FSOC : Les groupes de travail annoncés par Bessent devraient présenter leurs recommandations au premier trimestre 2026. Les mesures spécifiques proposées permettront d'évaluer l'ampleur réelle de l'assouplissement.
- La réaction des marchés : Les indices bancaires américains et les spreads de crédit sur les obligations bancaires fourniront des indications sur la confiance du marché dans cette nouvelle approche.
- Les stress tests bancaires : La Réserve fédérale publiera ses prochains stress tests en juin 2026. Les résultats montreront si les banques maintiennent une résilience adéquate malgré l'assouplissement réglementaire.
Conclusion
La proposition de Scott Bessent de refondre le FSOC marque un tournant idéologique dans la régulation financière américaine, privilégiant la croissance économique sur la prudence réglementaire. Si l'industrie bancaire y voit une opportunité de débloquer des milliards de dollars de capacité de prêt, les régulateurs européens et certains législateurs américains y perçoivent un risque de fragilisation du système financier.
Pour les investisseurs, cette évolution nécessite une vigilance accrue. L'histoire financière enseigne que les cycles de dérégulation ont souvent précédé des périodes d'instabilité. La question centrale reste de savoir si les leçons de 2008 ont été suffisamment intégrées dans la culture des institutions financières pour que l'autodiscipline du marché puisse compenser un allègement de la supervision réglementaire.
Sources
Cette analyse s'appuie sur des sources de premier plan, incluant les déclarations officielles du département du Trésor américain, les analyses de Bloomberg et CNBC, ainsi que les positions de la Banque centrale européenne et du Congrès américain.