Le régulateur bancaire américain vient de franchir un cap décisif dans l'intégration des crypto-monnaies au système financier traditionnel. Le 12 décembre 2025, l'Office of the Comptroller of the Currency (OCC) a accordé une approbation conditionnelle à cinq entreprises majeures du secteur des actifs numériques pour établir ou convertir leurs activités en banques fiduciaires nationales (national trust banks).
Les cinq entreprises approuvées
L'OCC a approuvé deux types de demandes distinctes. D'une part, Circle (via First National Digital Currency Bank) et Ripple (via Ripple National Trust Bank) ont obtenu des chartes de novo, c'est-à-dire des autorisations pour créer de nouvelles entités bancaires fédérales. D'autre part, BitGo Bank & Trust, Fidelity Digital Assets et Paxos Trust Company ont reçu l'approbation pour convertir leurs statuts de sociétés fiduciaires d'État en banques fiduciaires nationales.
Ces institutions rejoindront les quelque 60 banques fiduciaires nationales actuellement supervisées par l'OCC, aux côtés d'Anchorage Digital Bank, devenue en janvier 2021 la première banque crypto à obtenir une charte fédérale.
Ce que permet (et ne permet pas) une charte fiduciaire nationale
Il est essentiel de comprendre les limites de ce statut. Une banque fiduciaire nationale ne peut pas :
- Accepter des dépôts de particuliers
- Proposer des comptes d'épargne ou des comptes courants
- Accorder des prêts aux consommateurs
- Bénéficier de l'assurance-dépôts de la FDIC
En revanche, ces institutions peuvent :
- Offrir des services de conservation (custody) d'actifs numériques
- Fournir des services fiduciaires et de règlement
- Gérer des actifs pour le compte de clients institutionnels
- Solliciter un compte maître auprès de la Réserve fédérale, donnant accès direct aux rails de paiement de la Fed
Les réactions des acteurs du marché
Les dirigeants des entreprises approuvées ont salué cette décision comme une avancée majeure.
« L'établissement d'une banque fiduciaire nationale de ce type renforce l'engagement de longue date de Circle envers les plus hauts standards de confiance et de conformité. »
— Jeremy Allaire, PDG de Circle
Brad Garlinghouse, PDG de Ripple, a qualifié cette approbation de « nouvelle considérable » et d'« étape massive » pour le stablecoin RLUSD de l'entreprise, « établissant les plus hauts standards de conformité avec une supervision fédérale (OCC) et étatique (NYDFS) ».
« Cela marque la fin officielle de la guerre contre la crypto et le début d'une nouvelle ère d'innovation bancaire. »
— Mike Belshe, PDG de BitGo
Le Comptroller of the Currency, Jonathan Gould, a défendu cette décision : « Les nouveaux entrants dans le secteur bancaire fédéral sont bénéfiques pour les consommateurs, l'industrie bancaire et l'économie. Ils donnent accès à de nouveaux produits, services et sources de crédit, tout en assurant un système bancaire dynamique, compétitif et diversifié. »
Les inquiétudes du secteur bancaire traditionnel
Toutes les voix ne sont pas aussi enthousiastes. Le Bank Policy Institute (BPI), qui représente les grandes banques américaines, a exprimé des réserves significatives.
« La décision d'aujourd'hui laisse des questions substantielles sans réponse. Principalement, si les exigences que l'OCC a définies pour les candidats sont correctement adaptées aux activités et aux risques auxquels ces fiducies seront exposées. »
— Greg Baer, PDG du Bank Policy Institute
Les banques traditionnelles craignent notamment que les stablecoins puissent détourner les dépôts de leurs établissements, réduisant ainsi leur capacité de prêt. Le BPI a également averti que ces chartes fiduciaires pourraient constituer une « porte dérobée » permettant aux entreprises crypto d'accéder au système bancaire avec des standards réglementaires allégés.
Un marché des stablecoins en pleine expansion
Cette décision intervient dans un contexte d'expansion rapide du marché des stablecoins. La capitalisation totale du secteur a atteint 313 milliards de dollars en 2025, contre 205 milliards en début d'année — une croissance de plus de 50 % en moins de douze mois.
Le marché reste dominé par deux acteurs majeurs :
- Tether (USDT) : 183 milliards de dollars de capitalisation, soit environ 60 % du marché
- USDC (Circle) : 74 milliards de dollars, soit 25 % du marché
Ensemble, ces deux émetteurs contrôlent 90 % du marché des stablecoins. Ripple, avec son stablecoin RLUSD lancé en décembre 2024, affiche une capitalisation d'environ 1 milliard de dollars. Paxos gère quant à lui le PYUSD (3,8 milliards de dollars) et le Global Dollar (1,4 milliard de dollars).
Le contexte réglementaire : le GENIUS Act
L'approbation de l'OCC s'inscrit dans le cadre du GENIUS Act (Guaranteeing Essential National Infrastructure in US-Stablecoins), signé par le président Trump le 18 juillet 2025. Cette loi constitue la première législation complète sur les stablecoins aux États-Unis.
Les principales dispositions du GENIUS Act incluent :
- L'obligation pour les émetteurs de détenir au moins un dollar de réserves pour chaque dollar de stablecoin émis
- Les réserves autorisées comprennent les dépôts bancaires assurés, les bons du Trésor à court terme et les réserves de la banque centrale
- Les émetteurs de plus de 10 milliards de dollars de stablecoins doivent passer sous régulation fédérale
- En cas d'insolvabilité, les détenteurs de stablecoins sont prioritaires sur tous les autres créanciers
Implications pour les investisseurs européens
Pour les épargnants français et européens, cette évolution américaine présente plusieurs dimensions importantes.
Circle possède déjà un avantage concurrentiel significatif en Europe grâce à sa conformité au règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets). L'entreprise est devenue en juillet 2024 le premier émetteur mondial de stablecoins à obtenir la conformité MiCA, via sa licence d'établissement de monnaie électronique (EMI) délivrée par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le régulateur bancaire français.
Cette double conformité — américaine via l'OCC et européenne via MiCA — positionne Circle comme le pont réglementaire le plus solide entre les deux rives de l'Atlantique. L'USDC est d'ailleurs le seul stablecoin majeur en dollars à être autorisé dans l'Union européenne, Tether (USDT) ayant été retiré des principales plateformes européennes faute de conformité MiCA.
L'accès aux rails de paiement de la Fed en ligne de mire
L'un des enjeux majeurs de ces chartes bancaires réside dans la possibilité de demander un « compte maître » auprès de la Réserve fédérale. En octobre 2025, le gouverneur de la Fed Chris Waller a proposé la création de comptes maîtres « allégés » (skinny master accounts) pour les entreprises fintech et crypto.
« Mon point de vue désormais à la Fed est d'embrasser la disruption, pas de l'éviter. La Fed entend être un acteur actif de cette révolution. »
— Chris Waller, gouverneur de la Réserve fédérale
Ces comptes permettraient un accès direct aux infrastructures de paiement de la Fed, sans passer par des banques intermédiaires, ce qui réduirait les coûts et accélérerait les règlements.
Ce qu'il faut surveiller
Plusieurs développements méritent l'attention des investisseurs dans les mois à venir :
- Finalisation des approbations : Les chartes accordées sont conditionnelles. Les entreprises doivent encore satisfaire aux exigences opérationnelles de l'OCC pour obtenir l'approbation définitive.
- Demandes de comptes maîtres Fed : L'attribution de ces comptes aux entreprises crypto constituera un indicateur clé de l'intégration réelle au système financier.
- Réaction du secteur bancaire : Les grandes banques pourraient intensifier leur lobbying pour des règles plus strictes ou accélérer leurs propres initiatives crypto.
- Évolution européenne : L'écart réglementaire entre les États-Unis et l'Europe pourrait créer des opportunités d'arbitrage ou, au contraire, des barrières pour les entreprises opérant des deux côtés de l'Atlantique.
Conclusion
L'approbation par l'OCC de cinq entreprises crypto majeures pour devenir des banques fiduciaires nationales représente une étape significative dans la convergence entre la finance traditionnelle et les actifs numériques. Bien que ces chartes fiduciaires restent limitées dans leur portée — pas de dépôts, pas de prêts —, elles ouvrent la porte à une supervision fédérale et potentiellement à l'accès aux infrastructures de paiement de la Réserve fédérale.
Pour les investisseurs français, cette évolution souligne l'importance de suivre les développements réglementaires américains, qui influencent directement la valorisation des actifs numériques et la stratégie des émetteurs de stablecoins présents en Europe. Circle, avec sa double conformité OCC et MiCA, apparaît comme l'acteur le mieux positionné pour capitaliser sur cette convergence transatlantique.