Une réforme européenne qui élargit drastiquement le périmètre réglementaire
Le crédit à la consommation français s'apprête à connaître sa plus importante mutation depuis la loi Lagarde de 2010. L'ordonnance n° 2025-880, publiée au Journal officiel le 4 septembre 2025, transpose en droit français la directive européenne (UE) 2023/2225 du 18 octobre 2023. Cette réforme, qui entrera en vigueur le 20 novembre 2026, bouleverse les pratiques actuelles en étendant la protection réglementaire du premier euro jusqu'à 100 000 euros.
Actuellement, seuls les crédits compris entre 200 € et 75 000 € sont encadrés par le Code de la consommation. Dès novembre 2026, cette zone grise qui abritait mini-crédits et paiements fractionnés disparaîtra. Les produits « achetez maintenant, payez plus tard » (BNPL), les crédits de moins de 200 €, les solutions de paiement en « 3 fois sans frais », ainsi que les crédits entre 75 000 € et 100 000 € tomberont sous le coup des nouvelles exigences.
Vérification de solvabilité : une obligation renforcée avec consultation du FICP
La mesure phare de cette réforme impose aux prêteurs de procéder à une « étude minutieuse de la solvabilité » de l'emprunteur avant tout octroi de crédit. Cette obligation englobe désormais l'évaluation des revenus, des charges courantes, du patrimoine et de la capacité de remboursement résiduelle.
Jusqu'à présent, la consultation du Fichier national des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP) géré par la Banque de France restait facultative pour les mini-crédits et paiements fractionnés. Cette exemption constituait une faille majeure : l'Observatoire de l'Inclusion Bancaire relevait en juin 2025 que 17 % des dossiers de surendettement enregistrés en 2024 impliquaient ces produits non régulés.
Dès le 20 novembre 2026, la consultation du FICP deviendra obligatoire, sauf pour trois exceptions limitées : les crédits d'une durée inférieure à trois mois, les crédits gratuits et les montants inférieurs à 201 €. Cette mesure vise à enrayer la multiplication de micro-crédits contractés simultanément, un phénomène en hausse de 40 à 50 % entre 2020 et 2021 selon l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Découvert bancaire : la fin de l'automaticité
Le changement le plus visible pour les consommateurs concernera le découvert bancaire. Actuellement, environ 15 % des ménages français utilisent régulièrement cette facilité, proportion qui grimpe à 29 % chez les foyers percevant moins de 1 400 € mensuels.
À compter du 20 novembre 2026, les établissements bancaires devront obtenir une autorisation formelle et préalable du client avant d'octroyer ou de renouveler un découvert. Fini les découverts implicites inclus automatiquement dans les contrats de compte : chaque facilité de caisse devra faire l'objet d'une procédure documentée, précédée d'une évaluation de solvabilité identique à celle exigée pour un crédit classique.
Seule exception : les découverts inférieurs à 200 € d'une durée inférieure à un mois échapperont aux formalités complètes. Au-delà de ces seuils, les découverts non autorisés seront requalifiés en crédits irréguliers, avec des taux souvent supérieurs à 20 %, proches du taux d'usure.
La Fédération Bancaire Française (FBF) a exprimé des réserves sur le coût administratif de cette mesure pour les conseillers clientèle, mais n'a pas obtenu d'assouplissement. La directive européenne (UE) 2023/2225 s'impose uniformément à tous les États membres, qui risquaient des sanctions de la Cour de justice de l'Union européenne en cas de non-transposition.
Protection renforcée des emprunteurs en difficulté
L'ordonnance 2025-880 introduit de nouvelles obligations pour les prêteurs confrontés à des incidents de paiement. En cas de défaillance, les établissements devront systématiquement proposer des solutions de renégociation : étalement des échéances, allongement de la durée du crédit ou réduction du taux d'intérêt.
Pour les emprunteurs en grande difficulté financière, l'orientation vers des services de conseil gratuits devient une obligation légale. Les associations spécialisées et les points conseil budget, financés par l'État, bénéficieront ainsi d'un afflux réglementaire de nouveaux demandeurs. Les modalités pratiques de cette orientation seront précisées par décret d'application.
Cette mesure répond à une urgence statistique : les cas de surendettement liés au crédit à la consommation représentent 43 % du total des dossiers déposés auprès des commissions de surendettement, avec une progression annuelle de 10,8 % selon les dernières données de la Banque de France.
Publicité et information précontractuelle : un langage plus direct
L'avertissement réglementaire qui accompagne toute publicité pour un crédit évolue. La formule actuelle — « Un crédit vous engage et doit être remboursé » — sera remplacée par : « Attention ! Un crédit coûte de l'argent et doit être remboursé. »
Cette reformulation n'est pas cosmétique. Elle répond à un constat des associations de consommateurs : de nombreux emprunteurs fragiles perçoivent le crédit comme un revenu supplémentaire plutôt qu'une charge future. Le nouveau message insiste explicitement sur la notion de coût.
Les publicités devront également détailler de façon décomposée les mensualités, les taux applicables, le type de crédit et mettre en avant le Taux Annuel Effectif Global (TAEG). La fiche d'information précontractuelle normalisée (FIPEN) devra faire l'objet d'explications verbales systématiques, et non plus seulement d'une remise papier.
DGCCRF : un pouvoir de sanction renforcé
Le contrôle du respect de ces nouvelles règles relève désormais de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dont les pouvoirs de sanction ont été étendus par l'ordonnance. Cette évolution vise à renforcer l'effet dissuasif sur les pratiques abusives.
La DGCCRF peut prononcer des sanctions administratives pouvant atteindre 75 000 € par manquement constaté. Les contrôles porteront notamment sur le respect des obligations de vérification de solvabilité, la consultation du FICP et la conformité des publicités.
Un calendrier d'adaptation serré pour les professionnels
Les établissements de crédit, sociétés de financement et plateformes de BNPL disposent d'une année pour adapter leurs systèmes informatiques, leurs contrats types et former leurs équipes. La date butoir du 20 novembre 2026 ne souffrira aucun report : elle résulte d'une obligation européenne harmonisée dans les 27 États membres.
Cette réforme s'inscrit dans une stratégie européenne de protection accrue des consommateurs face à la digitalisation du crédit. Les solutions « en trois clics », qui ont explosé avec le e-commerce, nécessitaient un encadrement équivalent aux crédits traditionnels. La directive 2023/2225, en abrogeant la directive 2008/48/CE devenue obsolète, répond à cet impératif de modernisation réglementaire.
Pour les consommateurs français, novembre 2026 marquera une rupture : l'accès au crédit deviendra plus encadré, mais aussi plus sécurisé, avec des garde-fous explicites contre le surendettement.