L'Europe aborde l'hiver 2025-2026 avec des réserves de gaz nettement inférieures à la normale. Selon les dernières données, les installations de stockage européennes ne sont remplies qu'à 72-74 %, contre une moyenne quinquennale de 84 % à cette période de l'année. Ce déficit de 24 milliards de mètres cubes (bcm) – soit 36 % de moins que l'an passé – place le continent dans une position de vulnérabilité face aux aléas climatiques et géopolitiques.
Des prix stabilisés mais toujours élevés
Le contrat TTF néerlandais, référence du marché européen, s'établit actuellement autour de 26,75 €/MWh, son niveau le plus bas depuis avril 2024. Cette baisse de 45 % depuis le début de l'année marque un net recul par rapport aux sommets atteints lors de la crise de 2022. Toutefois, ces prix restent environ deux fois supérieurs aux niveaux d'avant-crise, pesant structurellement sur la compétitivité des entreprises européennes.
L'Agence internationale de l'énergie (AIE) souligne que les prix du gaz pour les industriels européens ont été en moyenne 30 % plus élevés qu'en Chine et cinq fois supérieurs à ceux pratiqués aux États-Unis depuis 2022. Cette situation menace durablement la base industrielle du continent.
La fin du transit ukrainien rebat les cartes
Le 1er janvier 2025, le transit de gaz russe via l'Ukraine a définitivement cessé après l'expiration du contrat entre Gazprom et Naftogaz. Cette décision, assumée par le président Zelensky pour priver Moscou de revenus estimés à 5 milliards de dollars annuels, a mis fin à soixante ans d'approvisionnement par cette voie.
Les pays les plus exposés – Autriche, Slovaquie et Hongrie, pour lesquels ce transit représentait 65 % de leur consommation en 2023 – ont néanmoins réussi à s'adapter en diversifiant leurs sources d'approvisionnement. Les importations de GNL américain compensent désormais l'essentiel du déficit, représentant 56 % des importations européennes de gaz naturel liquéfié.
Le phénomène Dunkelflaute accentue les tensions
Les épisodes de Dunkelflaute – ces périodes de faible vent et d'ensoleillement limité – ont mis en lumière la fragilité du système électrique européen. En novembre 2025, une semaine de conditions anticycloniques persistantes a réduit la production renouvelable allemande à 30 % de la normale, propulsant les prix spot à 145 €/MWh, voire 820 €/MWh en intraday.
Selon Wood Mackenzie, l'Europe connaît en moyenne 1,6 épisode de Dunkelflaute par an, avec une concentration marquée entre novembre et janvier. La Belgique est particulièrement exposée avec trois événements annuels en moyenne, tandis que le Portugal en est épargné grâce à son ensoleillement hivernal.
« La Dunkelflaute représente le scénario le plus défavorable pour un système électrique fondé sur les renouvelables. »
— Gerald Kaendler, Directeur Asset Management, Amprion
L'industrie européenne en difficulté
Le rapport Draghi sur la compétitivité européenne, publié en septembre 2024, avait tiré la sonnette d'alarme : les prix de l'électricité industrielle dans l'UE sont 2,5 fois plus élevés qu'aux États-Unis, et ceux du gaz 3 à 5 fois supérieurs. Un an plus tard, seules 11,2 % des 383 recommandations du rapport ont été pleinement mises en œuvre.
Les conséquences sont tangibles :
- La production industrielle en France et en Italie reste inférieure aux niveaux de 2021
- L'UE a perdu plus de 800 000 emplois manufacturiers depuis la pandémie
- La production d'acier européenne a atteint son plus bas niveau depuis 1960
- Une hausse permanente de 10 % des prix de l'électricité pourrait réduire l'emploi de 2 % dans les secteurs énergivores, selon la BCE
La France mieux positionnée grâce au nucléaire
Dans ce contexte difficile, la France tire son épingle du jeu grâce à son parc nucléaire. Les tarifs réglementés de l'électricité ont baissé de 15 % en moyenne depuis février 2025, s'établissant à 0,1952 €/kWh pour les ménages. Le prix de référence du gaz naturel reste également compétitif, les offres les plus avantageuses tournant autour de 0,0957 €/kWh.
Selon le baromètre AEGE de septembre 2025, les grands consommateurs industriels espagnols paient leur électricité 2,5 fois plus cher qu'en France, illustrant l'avantage comparatif hexagonal.
Perspectives pour 2026
Les analystes anticipent une sortie d'hiver délicate. ING prévoit que les stocks européens ne seront remplis qu'à 25 % fin mars 2026, contre 30-31 % selon BNEF en cas de conditions météorologiques normales. Un épisode de froid sévère pourrait faire chuter ce niveau jusqu'à 28 %.
La détente n'interviendra véritablement qu'à partir de 2026-2027, avec l'arrivée massive de nouvelles capacités de GNL. Goldman Sachs anticipe un TTF à 29 €/MWh en 2026, puis 20 €/MWh en 2027, et potentiellement 12 €/MWh d'ici 2028-2029 en cas de surcapacité de stockage.
Ce que les investisseurs doivent surveiller
- Évolution du TTF : Indicateur clé de la tension sur le marché gazier européen
- Niveaux de stockage : Un seuil critique sous 30 % pourrait raviver les tensions
- Mise en œuvre du rapport Draghi : Les réformes structurelles conditionneront la compétitivité industrielle
- Sanctions sur le GNL russe : L'interdiction prévue fin 2026-2027 pourrait créer de nouvelles tensions
- Capacités renouvelables : L'Europe a ajouté 250 GW depuis 2022, réduisant la dépendance au gaz de 60 bcm
Pour les épargnants français, cette situation justifie une vigilance accrue sur les secteurs énergivores (chimie, métallurgie, ciment) tout en offrant des opportunités sur les valeurs liées aux infrastructures énergétiques, au GNL et aux solutions de stockage d'énergie.