L'année 2025 s'achève pour la Chine avec un bilan économique en demi-teinte, marqué par un écart grandissant entre les chiffres officiels et les analyses indépendantes. Alors que Pékin revendique une croissance de 5,2 % sur les trois premiers trimestres, certains économistes occidentaux avancent des estimations deux fois moins élevées, soulevant des questions cruciales pour les investisseurs du monde entier.
Le fossé entre statistiques officielles et estimations alternatives
Le Bureau national des statistiques chinois (NBS) a publié une croissance du PIB de 5,2 % en glissement annuel sur les neuf premiers mois de 2025, conformément à l'objectif gouvernemental d'environ 5 %. Ce chiffre place la Chine en bonne position pour atteindre sa cible annuelle, une performance que Pékin présente comme un succès face aux vents contraires économiques.
Cependant, cette lecture optimiste est contestée par plusieurs centres de recherche indépendants. Le Rhodium Group, cabinet américain spécialisé dans l'analyse économique de la Chine, estime que la croissance réelle se situe entre 2,5 % et 3 % en 2025, soit environ la moitié du chiffre officiel. Selon leurs calculs, l'économie chinoise aurait même connu un net ralentissement au second semestre, avec une croissance qui patine autour de 1 %.
Le problème déflationniste est systémique. Ce n'est pas une anomalie temporaire qui peut être facilement résolue par des mesures de relance.
— Logan Wright, Rhodium Group
La Réserve fédérale américaine a également publié une analyse approfondie de cette question en juin 2025. Ses économistes ont développé un indicateur alternatif utilisant un modèle à facteurs dynamiques intégrant production industrielle, ventes au détail, données immobilières et exportations déclarées. Leur conclusion nuance le débat : depuis la pandémie, cet indicateur alternatif suit de près le PIB officiel, suggérant que les chiffres récents ne seraient pas significativement surestimés.
Une économie à deux vitesses
L'analyse des composantes de la croissance chinoise révèle une économie profondément déséquilibrée. D'un côté, le secteur exportateur affiche une performance remarquable ; de l'autre, la demande intérieure reste atone.
L'excédent commercial chinois a atteint un niveau historique de plus de 1 000 milliards de dollars sur les onze premiers mois de 2025, un record mondial. Les exportations ont progressé de 5,7 % sur cette période, malgré des droits de douane américains culminant à 145 % sur certains produits avant de se stabiliser autour de 47,5 %.
Face aux barrières commerciales, les entreprises chinoises ont réorienté leurs flux vers l'Europe (+8,9 %), l'Asie du Sud-Est (+14,6 %) et l'Afrique (+27,2 %). Les exportations automobiles, notamment électriques, ont explosé avec plus de 6 millions de véhicules vendus à l'étranger, faisant de la Chine le premier exportateur mondial devant le Japon.
En revanche, la consommation intérieure reste le talon d'Achille de l'économie. Les ventes au détail n'ont progressé que de 1,3 % en novembre 2025, leur plus faible hausse depuis décembre 2022. Sur les onze premiers mois, la progression atteint 4 %, un rythme insuffisant pour compenser la faiblesse de l'investissement.
La crise immobilière entre dans sa cinquième année
Le secteur immobilier continue de peser lourdement sur l'économie chinoise. L'investissement dans le développement immobilier a chuté de 15,9 % en glissement annuel en 2025, tandis que les mises en chantier ont plongé de plus de 20 %, atteignant leur plus bas niveau depuis le début des années 2000.
Les chiffres sont vertigineux : les ventes de logements neufs devraient atteindre environ 9 000 milliards de yuans en 2025, soit une division par deux par rapport au pic de 18 200 milliards de yuans enregistré en 2021. Les stocks de logements invendus ont atteint 762 millions de mètres carrés en août 2025.
La faillite d'Evergrande, radiée de la Bourse de Hong Kong en août 2025, et la perte record de 49,5 milliards de yuans (6,8 milliards de dollars) annoncée par China Vanke pour 2024 illustrent la profondeur de la crise. Selon S&P Global Ratings, les ventes immobilières devraient encore reculer de 6 % à 7 % en 2026.
Un déflateur du PIB durablement négatif
L'un des signaux les plus préoccupants reste la persistance des pressions déflationnistes. Si l'indice des prix à la consommation (IPC) a légèrement progressé de 0,7 % en novembre, les prix à la production ont chuté de 2,2 % pour le 38e mois consécutif.
Le déflateur du PIB, mesure plus large incluant les secteurs industriels, est négatif depuis dix trimestres consécutifs, marquant la plus longue séquence déflationniste depuis le passage de la Chine à l'économie de marché à la fin des années 1970.
La contraction de l'investissement en actifs fixes et la baisse des prix immobiliers se sont transmises au sentiment des consommateurs.
— Zhiwei Zhang, président et économiste en chef, Pinpoint Asset Management
La réponse politique de Pékin
Face à ces défis, le gouvernement chinois a déployé un arsenal de mesures de soutien. Le déficit budgétaire a été porté à 4 % du PIB, avec l'émission de 1 300 milliards de yuans d'obligations spéciales du Trésor à très long terme. Un plan de 10 000 milliards de yuans (1 400 milliards de dollars) vise à soulager l'endettement des collectivités locales.
La Banque populaire de Chine (PBOC) a adopté pour la première fois depuis 2010 une politique monétaire modérément accommodante, signalant sa volonté de réduire les taux d'intérêt et les réserves obligatoires des banques. Le 15e plan quinquennal (2026-2030), récemment approuvé, fixe le cap vers la modernisation socialiste d'ici 2035.
Le FMI a salué ces mesures en relevant ses prévisions de croissance à 5 % pour 2025 et 4,5 % pour 2026, soit une révision à la hausse de 0,2 et 0,3 point respectivement par rapport à ses estimations d'octobre.
Perspectives 2026 : un consensus prudent
Les grandes institutions financières anticipent un ralentissement graduel de l'économie chinoise en 2026. Goldman Sachs se montre le plus optimiste avec une prévision de 4,8 %, supérieure au consensus Bloomberg. BBVA, le FMI et une enquête Nikkei tablent sur 4,5 %, tandis que la Banque mondiale projette 4,4 %.
La crise immobilière devrait entrer dans sa cinquième année en 2026, bien que son impact sur la croissance doive s'atténuer progressivement. Les mises en chantier étant déjà 75 % inférieures au pic de 2021, le potentiel de détérioration supplémentaire devient limité.
L'excédent commercial record pourrait toutefois devenir un facteur de tensions. Selon Morgan Stanley, la part de la Chine dans les exportations mondiales de biens devrait atteindre 16,5 % d'ici la fin de la décennie, contre 15 % actuellement, renforçant les pressions protectionnistes à travers le monde.
Ce que cela signifie pour les investisseurs
- Statistiques officielles : PIB +5,2 % sur 9 mois 2025, objectif gouvernemental de 5 % en passe d'être atteint
- Estimations alternatives : Rhodium Group évalue la croissance réelle entre 2,5 % et 3 %
- Excédent commercial : record historique de plus de 1 000 milliards de dollars
- Immobilier : investissement en baisse de 15,9 %, ventes divisées par deux depuis 2021
- Déflation : déflateur du PIB négatif depuis 10 trimestres consécutifs
- Prévisions 2026 : consensus autour de 4,5 % (Goldman Sachs : 4,8 %, Banque mondiale : 4,4 %)
Pour les investisseurs français exposés aux marchés chinois, cette divergence entre données officielles et analyses indépendantes appelle à la prudence. La dépendance aux exportations et la faiblesse de la consommation intérieure suggèrent une vulnérabilité aux chocs commerciaux externes, tandis que la crise immobilière continue de peser sur la confiance des ménages.