Le 1er janvier 2026, la Bulgarie adoptera officiellement l'euro comme monnaie nationale, devenant ainsi le 21e État membre de la zone euro. Cet événement historique intervient près de 19 ans après l'adhésion du pays à l'Union européenne et marque une étape majeure dans l'intégration monétaire du continent.
Les paramètres techniques de l'adoption
Le Conseil de l'Union européenne a formellement approuvé l'entrée de la Bulgarie dans la zone euro le 8 juillet 2025, fixant un taux de conversion irrévocable de 1,95583 lev bulgare pour 1 euro. Ce taux correspond à la parité centrale maintenue depuis l'entrée du pays dans le mécanisme de change européen (MCE II) le 10 juillet 2020.
La transition s'organise en plusieurs phases :
- Double affichage des prix : obligatoire depuis le 8 août 2025 et jusqu'au 8 août 2026
- Double circulation : du 1er au 31 janvier 2026, les paiements en lev et en euro seront acceptés, mais la monnaie rendue sera exclusivement en euros
- Échange gratuit : les billets et pièces en lev pourront être échangés gratuitement dans les banques commerciales jusqu'au 30 juin 2026, puis à la Banque nationale de Bulgarie (BNB) sans limite de durée
Les bénéfices économiques attendus
Christine Lagarde, présidente de la BCE, a souligné les avantages substantiels de cette intégration lors d'un discours prononcé à Sofia en novembre 2025 :
« Le gouverneur de la Banque nationale de Bulgarie siégera au Conseil des gouverneurs de la BCE, avec la même voix, le même vote et la même responsabilité que tous les autres membres. La Bulgarie ne suivra plus passivement les décisions des autres – elle contribuera à façonner les orientations de la troisième économie mondiale. »
Les gains économiques identifiés comprennent :
- Économies pour les entreprises : environ 500 millions d'euros par an de frais de change éliminés pour les PME bulgares
- Stabilité monétaire : protection totale contre la volatilité des taux de change avec les partenaires commerciaux européens, alors que 45 % des exportations bulgares sont destinées à la zone euro et plus de 80 % des importations sont libellées en euros
- Accès à la liquidité BCE : les banques bulgares bénéficieront d'un accès direct aux facilités de refinancement de la BCE, renforçant la stabilité du système financier
- Amélioration de la notation de crédit : des conditions de financement plus favorables pour l'État et les entreprises
Une opinion publique divisée
Malgré ces perspectives, l'adoption de l'euro suscite une réticence notable au sein de la population bulgare. Selon un sondage de la Radio nationale bulgare, 57 % des citoyens s'opposent à l'euro en principe, contre seulement 39 % favorables. L'Eurobaromètre européen confirme cette tendance avec 49 % d'opposition.
Les craintes se concentrent principalement sur l'inflation. La Bulgarie affiche actuellement un taux d'inflation de 5,2 % en novembre 2025, contre une moyenne de 2,3 % dans la zone euro. Les prix alimentaires ont augmenté de 5 % sur un an, soit plus du double de la moyenne européenne.
« Ce sont les principales préoccupations que nous rencontrons dans les petites municipalités : la peur de devenir plus pauvre, car les gens ont très peu de réserves », explique une analyste de l'institut Alpha Research.
Le président bulgare Rumen Radev a lui-même plaidé pour un référendum, estimant que cette décision « doit s'inscrire dans un large consensus national ».
L'expérience croate comme référence
L'analyse des précédentes adoptions de l'euro, notamment celle de la Croatie en janvier 2023, permet de relativiser les craintes inflationnistes. Selon une étude de la BCE, l'impact du changement de monnaie sur l'inflation croate a été estimé à environ 0,4 point de pourcentage – un effet comparable aux précédentes transitions monétaires.
Patrick Bisciari, économiste à la Banque nationale de Belgique, souligne : « Dans la pratique, l'impact a le plus souvent été faible et temporaire. »
Les données de la BCE montrent que lors du changement croate :
- 65 % des produits de détail ont conservé des prix inchangés
- 25 % ont vu leurs prix baisser
- Seulement 10 % ont connu des hausses de prix
Toutefois, certains secteurs ont été plus touchés : l'habillement (46 % de l'inflation attribuée au changement), l'hôtellerie-restauration (33 %) et l'alimentation (16 %).
Des pièces chargées de symboles nationaux
Les pièces bulgares en euro porteront des symboles forts de l'identité nationale :
- 1 à 50 centimes : le Cavalier de Madara, relief rupestre du VIIIe siècle inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO
- 1 euro : Saint Jean de Rila, saint patron de la Bulgarie
- 2 euros : Païssi de Hilendar, moine et historien considéré comme le père du nationalisme bulgare
La Bulgarie devient ainsi le premier pays orthodoxe à arborer une figure religieuse chrétienne sur ses pièces en euro. L'inscription cyrillique « БЪЛГАРИЯ » et la mention « Dieu protège la Bulgarie » sur la tranche des pièces de 2 euros affirment l'identité culturelle du pays.
Un contexte politique complexe
La transition monétaire intervient dans un contexte politique délicat. Le gouvernement bulgare a chuté début décembre 2025 suite à des manifestations contre un projet budgétaire controversé. Le pays est actuellement dirigé par un gouvernement intérimaire, ce qui n'affecte toutefois pas le calendrier d'adoption de l'euro, approuvé bien en amont.
Malgré ces turbulences, la BCE maintient un message positif. Pour marquer l'événement, le bâtiment principal de la banque centrale à Francfort sera illuminé du 31 décembre au 11 janvier, affichant « Bienvenue, Bulgarie » dans toutes les langues officielles de la zone euro.
Ce que cela signifie pour les investisseurs
Pour les investisseurs européens, l'élargissement de la zone euro à la Bulgarie présente plusieurs implications :
- Marché unifié élargi : 347 millions de citoyens partagent désormais la même monnaie, simplifiant les transactions transfrontalières
- Opportunités d'investissement : le PIB par habitant bulgare a progressé d'un tiers à près des deux tiers de la moyenne européenne en dix ans, témoignant d'une convergence économique rapide
- Risques à surveiller : la Bulgarie reste le pays de l'UE avec le taux de pauvreté le plus élevé selon Eurostat, et les défis liés à l'État de droit et à la corruption persistent
- Obligations souveraines : l'intégration à la zone euro devrait réduire les spreads sur la dette bulgare et améliorer l'accès aux marchés de capitaux
Christine Lagarde résume l'enjeu symbolique de cette adhésion : « En rejoignant la zone euro, la Bulgarie ne se perd pas elle-même. Elle réaffirme qu'elle est fière, souveraine et européenne. »