Les négociations de paix sur l'Ukraine ont franchi une étape importante ce week-end à Genève, où les délégations américaine et ukrainienne ont annoncé des « progrès significatifs » vers un accord susceptible de mettre fin à près de quatre années de conflit. Cette avancée diplomatique a immédiatement déclenché des mouvements de marché majeurs : chute des valeurs de défense européennes, hausse des obligations ukrainiennes et repli des cours pétroliers.
Les négociations de Genève : un tournant diplomatique
Le 23 novembre 2025, le secrétaire d'État américain Marco Rubio a conduit une délégation de haut niveau à Genève, comprenant l'envoyé spécial Steve Witkoff, le secrétaire à l'Armée Dan Driscoll et le commandant suprême allié de l'OTAN Alexis Grynkewich. Face à eux, la délégation ukrainienne était menée par Andrii Yermak, chef de cabinet du président Zelensky.
Dans un communiqué conjoint, les deux parties ont fait état d'un « cadre de paix révisé et affiné », qualifiant les discussions de « hautement productives ». Marco Rubio s'est montré optimiste : « Je suis très confiant que nous pouvons aboutir à quelque chose. Nous avons réalisé des progrès considérables. »
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a confirmé l'avancée des discussions : « Il est important qu'il y ait un dialogue avec les représentants américains et des signaux indiquant que l'équipe du président Trump nous entend. »
Le plan en 28 points : concessions territoriales et limites militaires
Le projet de paix américain, révélé la semaine précédente, comprend 28 points majeurs qui ont suscité des réactions contrastées :
- Territoires : reconnaissance de facto de la Crimée, de Donetsk et de Lougansk comme territoires russes
- Armée ukrainienne : plafonnement des effectifs à 600 000 militaires (contre 880 000 actuellement)
- OTAN : engagement de l'Ukraine à ne pas rejoindre l'alliance
- Zone tampon : création d'une zone démilitarisée dans l'est de l'Ukraine
- Russie : invitation à réintégrer le G8
Ce plan initial a fait l'objet de critiques des deux côtés de l'Atlantique. Un groupe bipartisan de sénateurs américains a qualifié le document de « liste de souhaits de Moscou ». En réponse, les puissances européennes du E3 (Royaume-Uni, France, Allemagne) ont élaboré une contre-proposition supprimant les reconnaissances explicites de contrôle russe.
Réactions européennes : entre prudence et fermeté
Les dirigeants européens ont accueilli les progrès de Genève avec un mélange de satisfaction et de vigilance. Le chancelier allemand Friedrich Merz a souligné : « Les guerres ne peuvent pas se terminer par la décision de grandes puissances au-dessus de la tête des pays concernés. »
La haute représentante de l'UE, Kaja Kallas, a rappelé la position européenne : « Pour qu'un plan de paix réussisse, il doit être soutenu par l'Ukraine et par l'Europe. » Elle a également noté l'absence de concessions russes visibles dans les négociations.
Le président finlandais Alexander Stubb a tempéré l'optimisme ambiant : « Les négociations ont constitué un pas en avant, mais des questions majeures restent à résoudre. »
Impact sur les marchés : le secteur de la défense sous pression
La perspective d'un accord de paix a provoqué une correction brutale des valeurs de défense européennes, qui avaient bénéficié de la hausse des commandes militaires depuis 2022.
Performances des principales valeurs de défense
- Rheinmetall (Allemagne) : -15,21 % sur la semaine, à 1 458,80 €. L'action a chuté de 7,18 % le vendredi 21 novembre
- Hensoldt (Allemagne) : -5,1 % le 24 novembre
- Renk (Allemagne) : -7 % sur la journée, sixième séance consécutive de baisse
- Saab (Suède) : -3 % le 24 novembre
- Leonardo (Italie) : -3 % sur la séance
- Thales (France) : -1,8 % à -3,2 %
L'indice STOXX Aerospace & Defence a atteint son plus bas niveau depuis fin août, enregistrant sa plus forte baisse hebdomadaire depuis mars. Depuis leurs sommets d'octobre, les valeurs du secteur ont perdu entre 10 % et 20 %.
Pour autant, les analystes de Morningstar estiment que « la réaction du marché est exagérée ». Selon eux, les valorisations du secteur reposent sur des augmentations budgétaires structurelles plutôt que sur les revenus à court terme liés à l'Ukraine. JPMorgan considère la baisse récente comme « un point d'entrée attractif ».
Obligations ukrainiennes : un bond de confiance
À l'inverse des valeurs de défense, les obligations souveraines ukrainiennes en dollars ont enregistré une forte progression. L'obligation à échéance 2029 a gagné 3 cents pour atteindre 72 cents sur le dollar, son plus haut niveau depuis février 2025. Les titres à plus longue échéance (2035) figurent parmi les meilleures performances des marchés émergents du jour.
Cette hausse reflète l'anticipation des investisseurs d'une reconstruction et d'une stabilisation économique en cas d'accord de paix.
Pétrole : le spectre de la levée des sanctions
Les cours pétroliers ont poursuivi leur repli, les investisseurs intégrant la possibilité d'une levée partielle des sanctions contre la Russie qui libérerait des volumes supplémentaires sur un marché déjà bien approvisionné.
- Brent : environ 62,2 dollars le baril
- WTI : environ 57,7 dollars le baril
- Performance hebdomadaire : -3 %, plus forte baisse depuis début octobre
Le brut russe Urals se négocie déjà avec une décote de 23 dollars par baril par rapport aux autres grades mondiaux, signe de l'impact persistant des sanctions actuelles. Rebecca Babin, trader senior chez CIBC Private Wealth Group, observe : « Indépendamment de l'aboutissement d'un accord, la confiance dans l'application stricte des sanctions s'érode. »
Prochaines étapes et calendrier
Le président Trump avait initialement fixé la date limite de Thanksgiving (27 novembre) pour obtenir l'accord de l'Ukraine sur le cadre proposé. Marco Rubio a depuis assoupli cette échéance : « Que ce soit jeudi, vendredi, mercredi ou lundi de la semaine suivante, nous voulons que ce soit bientôt, car des gens meurent. »
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a indiqué que la Russie n'avait pas été officiellement informée des progrès de Genève, tout en suivant « de près les informations médiatiques ». Aucune rencontre entre délégations russe et américaine n'est prévue cette semaine.
Pour les investisseurs européens, les prochains jours seront décisifs. La volatilité sur les valeurs de défense et les matières premières énergétiques devrait persister tant que l'incertitude sur l'issue des négociations demeure. Les analystes recommandent de surveiller particulièrement les déclarations officielles et les réactions du marché obligataire ukrainien comme indicateurs avancés de l'évolution du dossier.
Sources
- NPR - « In Geneva, U.S. and Ukraine officials report progress »
- Bloomberg - « Ukraine Bonds Lead Eastern European Assets Higher »
- CNBC - « Europe defense stocks fall as U.S., Ukraine make progress »
- Reuters - European E3 counter-proposal
- Euronews - Kaja Kallas statements