L'essentiel à retenir
Les prix du pétrole ont franchi le 16 décembre 2025 un seuil symbolique inquiétant pour les producteurs mondiaux. Le Brent s'échange désormais autour de 59 à 60 dollars le baril, tandis que le WTI américain plonge à 55-56 dollars, des niveaux inédits depuis le début de l'année 2021. Cette chute de 20 % sur l'année marque la pire performance du brut depuis 2018, révélant un déséquilibre structurel entre une offre record et une demande mondiale atone.
Une production américaine sans précédent
Les États-Unis pulvérisent leurs records de production avec 13,6 millions de barils extraits quotidiennement en 2025, selon l'Agence américaine d'information sur l'énergie (EIA). Ce niveau historique s'inscrit dans une dynamique plus large : les producteurs hors OPEP+ (États-Unis, Brésil, Canada, Guyana, Argentine) affichent tous des volumes records, créant un véritable raz-de-marée d'offre sur les marchés mondiaux.
Cette surabondance ne faiblit pas. L'EIA projette que la production américaine se maintiendra à 13,5 millions de barils par jour en 2026, même si les foreurs commencent à réduire leur activité face à l'effondrement des prix. La rentabilité des puits de schiste américains, moteur de cette expansion, se trouve désormais mise à l'épreuve.
Un surplus qui dépasse celui de la pandémie
Les chiffres de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) sont sans appel : le marché mondial affiche un excédent de 2,3 millions de barils par jour en 2025. Mais c'est pour 2026 que les prévisions inquiètent réellement les opérateurs, avec un surplus attendu entre 3,7 et 4 millions de barils quotidiens.
« Le surplus mondial de pétrole masque des tendances divergentes selon les régions et les marchés », nuance l'AIE dans son rapport de décembre 2025. L'agence souligne que les stocks mondiaux ont atteint leur plus haut niveau depuis quatre ans, témoignant de l'ampleur du déséquilibre. Ce surplus dépasse même celui observé en 2020 lors de l'effondrement de la demande pendant la pandémie de COVID-19.
La Chine, maillon faible de la demande
L'empire du Milieu, premier importateur mondial de pétrole, multiplie les signaux d'alerte. La production industrielle chinoise a enregistré en novembre son plus bas niveau depuis 15 mois, tandis que les ventes au détail affichent leur croissance la plus faible depuis décembre 2022. Ces indicateurs économiques décevants pèsent lourdement sur les perspectives de consommation pétrolière.
Au troisième trimestre 2025, la croissance de la demande mondiale de pétrole s'est limitée à 0,8 million de barils par jour, soit seulement 0,7 % en glissement annuel. Ce ralentissement brutal contraste avec les taux de croissance à deux chiffres observés lors de la reprise post-pandémique. L'accélération de l'adoption des véhicules électriques en Chine contribue également à réduire structurellement la consommation de produits pétroliers.
Les prévisions des analystes virent au rouge
Goldman Sachs anticipe un Brent à 56 dollars et un WTI à 52 dollars pour 2026, avec même un risque de voir les cours plonger temporairement dans les 40 dollars si la production non-OPEP+ se révèle particulièrement résiliente ou si l'économie mondiale ralentit brutalement.
L'EIA américaine table quant à elle sur un Brent moyen proche de 50 à 55 dollars le baril pour l'ensemble de 2026, soit un niveau qui mettrait en difficulté de nombreux producteurs à coûts élevés. « L'EIA s'attend à ce que le prix du Brent se négocie en moyenne en dessous de 60 dollars le baril au quatrième trimestre 2025 », indique l'agence dans son communiqué d'août dernier.
Cette convergence des prévisions baissières traduit un consensus rarement observé parmi les analystes du marché pétrolier. Les conseillers en trading de matières premières (CTA) détiennent actuellement 100 % de positions courtes sur le Brent et le WTI, reflétant un pessimisme maximal parmi les traders algorithmiques.
OPEP+ sur la défensive
Face à cet effondrement, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses alliés (OPEP+) ont annoncé le gel de leurs augmentations de production prévues pour le premier trimestre 2026. Cette décision, prise lors de la 40e réunion ministérielle OPEP et non-OPEP, vise à « soutenir la stabilité du marché dans un contexte économique mondial stable », selon le communiqué officiel.
Mais cette réaction défensive intervient peut-être trop tard. L'OPEP+ avait initialement prévu de commencer à démanteler ses coupes de production dès septembre 2025, permettant au surplus de s'installer durablement sur le marché. L'organisation se retrouve désormais dans une position délicate : continuer à réduire sa production pour soutenir les prix reviendrait à abandonner encore plus de parts de marché aux producteurs américains, brésiliens et canadiens.
Un facteur géopolitique inattendu
Paradoxalement, les progrès dans les négociations de paix entre la Russie et l'Ukraine contribuent également à faire baisser les cours. Les marchés anticipent qu'un cessez-le-feu pourrait entraîner une levée progressive des sanctions américaines sur le pétrole russe, libérant potentiellement des volumes supplémentaires sur un marché déjà saturé.
Cette réduction de la « prime de risque géopolitique » intégrée dans les cours du brut amplifie la pression baissière. Les tensions au Moyen-Orient, traditionnellement facteur de soutien des prix, ne parviennent plus à compenser les fondamentaux baissiers du marché.
Gagnants et perdants de l'effondrement
Cette chute historique des cours redistribue les cartes de l'économie mondiale. Du côté des gagnants, les compagnies aériennes (United, American, Delta, Southwest, JetBlue) voient leurs coûts de carburant fondre, tandis que les consommateurs bénéficient de prix à la pompe en baisse. L'EIA projette un prix moyen de l'essence à 2,90 dollars le gallon aux États-Unis en 2026, soit environ 20 centimes de moins qu'en 2025.
Les perdants sont nombreux : compagnies pétrolières d'exploration-production, entreprises de services pétroliers (SLB, Halliburton, Baker Hughes), raffineurs, et surtout les économies fortement dépendantes des exportations d'hydrocarbures. Les budgets des États pétroliers, souvent équilibrés avec un baril à 70-80 dollars, vont subir des ajustements douloureux.
Perspectives : vers un rééquilibrage en 2027 ?
Si la période 2025-2026 s'annonce difficile pour les producteurs, certains analystes estiment que ce surplus temporaire pourrait préparer le terrain d'une future pénurie. Les prix bas actuels découragent les investissements dans de nouveaux projets pétroliers, dont les délais de développement s'étendent sur plusieurs années. La réduction de l'activité de forage aux États-Unis en témoigne déjà.
« Les craintes de surplus l'emportent sur les craintes de perturbation », résument des analystes de marché. Cette phrase capture l'essence du moment présent : malgré des risques géopolitiques persistants et des stocks stratégiques qui restent bas dans certains pays de l'OCDE, c'est bien le spectre de la surabondance qui domine les esprits.
L'industrie pétrolière entre dans une phase de turbulence prolongée, où les équilibres traditionnels entre OPEP+ et producteurs indépendants, entre offre et demande, entre géopolitique et fondamentaux économiques, sont remis en question. Pour les épargnants et investisseurs français, cette situation offre à la fois des opportunités (pouvoir d'achat renforcé, inflation énergétique maîtrisée) et des risques (exposition aux valeurs pétrolières, impact sur les économies émergentes exportatrices).
Ce qu'il faut surveiller
- L'évolution de la production américaine de schiste face aux prix bas
- Les décisions de l'OPEP+ en mars 2026 concernant les niveaux de production
- Les données économiques chinoises, baromètre de la demande asiatique
- L'issue des négociations de paix russo-ukrainiennes et leur impact sur l'offre russe
- Le niveau des stocks mondiaux de pétrole dans les prochains trimestres