Contexte et enjeux
Dans un entretien accordé au quotidien économique Les Échos publié le 7 décembre 2025, le président français Emmanuel Macron a lancé un avertissement sans précédent à la Chine. Le chef de l'État français a menacé d'imposer des tarifs douaniers européens si Pékin ne réduit pas substantiellement son excédent commercial avec l'Union européenne, qui a dépassé 300 milliards d'euros en 2024.
Cette déclaration intervient quelques jours seulement après la visite d'État du président français en Chine, où il a rencontré son homologue Xi Jinping. Selon les observateurs, Macron n'aurait obtenu aucune concession significative de la part des autorités chinoises sur les questions commerciales.
« Si la Chine ne réagit pas, nous Européens serons obligés de prendre des mesures fortes dans les prochains mois », a déclaré Emmanuel Macron, évoquant explicitement la possibilité d'un « découplage » économique avec Pékin.
Les chiffres alarmants du déséquilibre commercial
Les données commerciales révèlent l'ampleur du déséquilibre entre l'Europe et la Chine. Le déficit commercial de l'Union européenne avec la Chine a dépassé 300 milliards d'euros en 2024, un record historique qui illustre la dépendance croissante de l'Europe aux produits manufacturés chinois.
Au premier semestre 2025, l'excédent commercial de la Chine avec l'UE a atteint près de 143 milliards de dollars, établissant un nouveau record pour une période de six mois. Ce déséquilibre s'est encore accentué depuis le début de l'année, reflétant une tendance structurelle préoccupante pour les économies européennes.
Pour la France spécifiquement, le déficit commercial bilatéral avec la Chine s'élève à 47 milliards d'euros sur l'année précédente, selon les chiffres cités par Fortune. Ce déséquilibre touche particulièrement les secteurs de la machinerie industrielle, de l'automobile et de l'électronique grand public.
Lors du sommet UE-Chine organisé à Pékin en décembre 2025, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a également souligné que ce déficit commercial « a doublé au cours de la dernière décennie », qualifiant la situation de « point d'inflexion » clair dans les relations commerciales.
Une stratégie européenne face à la surcapacité chinoise
Au cœur des préoccupations européennes figure la question de la surcapacité industrielle chinoise. Von der Leyen a évoqué « longuement la question de la surcapacité dans l'économie chinoise, dans des secteurs cruciaux comme l'acier, les panneaux solaires, les véhicules électriques et les batteries ».
Selon la Commission européenne, cette production subventionnée dépasse largement la demande domestique chinoise et se déverse sur les marchés étrangers, créant une concurrence déloyale pour les producteurs européens. L'Europe a déjà imposé des tarifs douaniers sur les véhicules électriques chinois, une décision que Paris a activement soutenue.
La réaction de Pékin ne s'est pas fait attendre : la Chine a imposé des exigences de prix minimum sur le cognac français en représailles, illustrant la fragilité de certains secteurs d'exportation français face aux mesures de rétorsion chinoises.
Emmanuel Macron a critiqué « l'approche inappropriée » des États-Unis envers la Chine, estimant qu'elle a aggravé la position de l'Europe en redirigeant les exportations chinoises vers les marchés européens. Cette analyse reflète la crainte que la guerre commerciale américano-chinoise ne transforme l'Europe en débouché privilégié pour les surplus manufacturiers chinois.
Le contexte de la guerre commerciale américaine
La menace française s'inscrit dans un contexte plus large de tensions commerciales mondiales, initiées par l'administration Trump aux États-Unis. En avril 2025, Washington a imposé des tarifs « réciproques » massifs, affectant la majorité de ses partenaires commerciaux.
Les États-Unis ont mis en place un tarif de base de 10 % sur toutes les importations, avec un taux majoré de 20 % spécifiquement ciblant les produits européens. Selon la Tax Foundation, le taux tarifaire moyen pondéré américain a atteint 15,8 %, son niveau le plus élevé depuis 1943.
Ces mesures ont eu un impact direct sur les exportations françaises. Les données commerciales montrent que les exportations françaises vers les États-Unis ont chuté de 18,2 % en glissement annuel, passant de 28,3 milliards d'euros au premier trimestre 2025 à 24,7 milliards d'euros au deuxième trimestre.
Les secteurs français particulièrement touchés incluent le vin et les spiritueux (tarifs de 25 % depuis mars 2025), les produits de luxe (le marché américain représente environ 27 % des ventes mondiales de LVMH), et l'aérospatiale (environ un cinquième des exportations françaises vers les États-Unis).
La France relativement protégée selon Goldman Sachs
Malgré ce tableau sombre, les analystes de Goldman Sachs estiment que la France bénéficie d'une certaine protection structurelle face à l'escalade des tensions commerciales mondiales.
« La France est susceptible d'être mieux protégée d'une escalade des tensions commerciales mondiales par rapport à ses pairs européens. C'est un pays moins ouvert et moins exposé aux États-Unis », explique Alexandre Stott, économiste européen chez Goldman Sachs.
L'institution financière prévoit une croissance du PIB français de 0,5 % en 2025, contre une croissance nulle pour l'Allemagne et 0,8 % pour la zone euro dans son ensemble. Cette résilience relative s'explique par la structure de l'économie française, moins dépendante des exportations que ses voisins allemands ou italiens.
La France possède également la plus grande industrie de défense en Europe et se classe comme le deuxième exportateur mondial de matériel militaire, derrière les États-Unis. L'augmentation des dépenses militaires européennes, notamment allemandes, devrait bénéficier aux fabricants français d'équipements critiques comme les systèmes de défense aérienne et les satellites.
Toutefois, Goldman Sachs souligne les contraintes budgétaires persistantes : la France affiche le plus grand déficit budgétaire de la zone euro (5,8 % du PIB en 2024), limitant considérablement la marge de manœuvre fiscale du gouvernement pour stimuler l'économie.
Les obstacles à un consensus européen
La principale difficulté pour Emmanuel Macron réside dans l'obtention d'un consensus européen sur l'imposition de tarifs douaniers à la Chine. L'Allemagne, première économie européenne, entretient des liens commerciaux étroits avec Pékin et « n'est pas encore entièrement alignée avec notre position », a reconnu le président français.
L'industrie automobile allemande, particulièrement dépendante du marché chinois, craint les représailles commerciales qui pourraient suivre l'imposition de tarifs européens. Cette divergence d'intérêts au sein de l'Union complique considérablement l'élaboration d'une stratégie commerciale commune envers la Chine.
Durant sa visite en Chine, Macron a suggéré une approche alternative : accepter davantage d'investissements directs chinois en Europe comme mécanisme pour réduire le déséquilibre commercial. Cependant, il a averti contre le risque que les entreprises chinoises agissent en « prédateurs », exigeant des garanties sur la réciprocité et l'accès aux marchés.
Impact sur les investisseurs et épargnants français
Pour les investisseurs français, cette escalade potentielle des tensions commerciales présente plusieurs implications concrètes. Les secteurs exposés aux exportations vers la Chine et les États-Unis font face à une volatilité accrue et à des perspectives de croissance réduites.
Le gouvernement français a d'ailleurs abaissé ses prévisions de croissance du PIB pour 2025 à 0,7 %, citant explicitement les risques liés aux tarifs douaniers. Cet ajustement reflète l'incertitude croissante pesant sur l'économie française dans un environnement commercial mondial fragmenté.
Les entreprises du CAC 40 particulièrement exposées incluent les groupes de luxe (LVMH, Kering, Hermès), les producteurs de spiritueux (Pernod Ricard, Rémy Cointreau) et les équipementiers automobiles ayant des chaînes d'approvisionnement complexes impliquant la Chine.
Selon une analyse de Natixis, une augmentation de 10 % des tarifs douaniers pourrait réduire la production économique française d'environ 0,3 %. La Bourse de Paris a d'ailleurs chuté de plus de 3 % lors de l'annonce des tarifs américains en avril 2025, illustrant la sensibilité des marchés à ces développements.
Perspectives et scénarios futurs
L'analyse du Centre for Economic Policy Research (CEPR) sur l'impact mondial de la guerre commerciale de 2025 révèle que la zone euro subirait des pertes de bien-être modestes, restant inférieures à 1 %, avec des taux tarifaires effectifs passant d'environ 2 % à 17 %.
Cependant, ces projections dépendent fortement de l'intensité des représailles. Dans un scénario de représailles complètes, les perturbations des chaînes d'approvisionnement mondiales pourraient s'amplifier, avec des contractions sectorielles de 12 à 16 % dans l'équipement électrique et les équipements de transport.
Le Parlement européen a souligné que « les tarifs sont des taxes, mauvaises pour les entreprises, pires pour les consommateurs », notant que les États-Unis finiraient par « taxer leurs propres citoyens, augmentant les coûts pour les entreprises et alimentant l'inflation ».
L'UE privilégie une stratégie de négociation pour éviter une escalade mutuellement dommageable, tout en se préparant à défendre ses intérêts par des contre-tarifs si nécessaire. La Commission a adopté un cadre de représailles progressives avec des tarifs échelonnés jusqu'en décembre 2025 si les négociations échouent.
Conclusion
La menace de tarifs douaniers européens contre la Chine formulée par Emmanuel Macron marque un tournant dans les relations commerciales entre l'Europe et son deuxième partenaire commercial. Face à un déficit dépassant 300 milliards d'euros, l'Union européenne se trouve contrainte d'envisager des mesures protectionnistes qu'elle a longtemps évitées.
Pour les investisseurs et épargnants français, cette évolution géopolitique exige une vigilance accrue sur les secteurs exposés au commerce international, particulièrement le luxe, les spiritueux et l'automobile. La diversification sectorielle et géographique des portefeuilles apparaît plus que jamais nécessaire dans un environnement commercial mondial en pleine fragmentation.
La capacité de l'Europe à parler d'une seule voix, notamment en surmontant les réticences allemandes, déterminera l'efficacité de toute stratégie tarifaire envers la Chine. Dans l'intervalle, l'incertitude persistante pèsera sur les perspectives de croissance économique et les valorisations des actifs européens.