À quelques jours de la clôture de 2025, le S&P 500 s'apprête à réaliser un exploit rare dans l'histoire des marchés financiers : enchaîner trois années consécutives de rendements à deux chiffres. Avec un gain annuel d'environ 17 %, l'indice de référence de Wall Street couronne une période de création de richesse exceptionnelle, après des hausses de 24,5 % en 2024 et de 26,2 % en 2023.
Un « Triple Crown » rare dans l'histoire boursière
Depuis 1928, le S&P 500 n'a affiché trois années consécutives de gains supérieurs à 10 % qu'environ une douzaine de fois. La dernière occurrence remonte à la période 1995-1999, au cœur de la bulle technologique. « Ce rare Triple Crown de performance marque l'une des périodes les plus prolifiques de création de richesse dans l'histoire des marchés actions américains », souligne l'analyse de Market Minute.
L'indice a clôturé le 26 décembre à 6 929,94 points, proche de son record historique de 6 945,77 points atteint en séance. Sur les trois dernières années, le S&P 500 a progressé de plus de 87 % depuis son point bas d'octobre 2022, une performance qui dépasse celle de la plupart des autres classes d'actifs.
Nvidia et l'IA : les locomotives de la hausse
Le catalyseur principal de ce rallye reste l'intelligence artificielle. Nvidia, devenue en octobre 2025 la première entreprise de l'histoire à dépasser les 5 000 milliards de dollars de capitalisation boursière, incarne cette révolution. Le fabricant de puces contrôle environ 90 % du marché des processeurs dédiés à l'IA et a vu son action progresser de plus de 30 % sur l'année.
Les « Magnificent Seven » (Apple, Microsoft, Amazon, Meta, Tesla, Nvidia et Alphabet) représentent désormais 35 % à 40 % de la capitalisation du S&P 500. Cependant, la dynamique s'est fragmentée en 2025 : seuls Alphabet (+63 %) et Nvidia (+30 %) ont surperformé l'indice, tandis qu'Amazon (+3 %) et Apple (+11 %) ont sous-performé.
« Les investisseurs font désormais le tri entre gagnants et perdants, plutôt que d'investir aveuglément dans l'indice ou les valeurs technologiques en bloc. C'est un signe de maturité du marché. »
Un contexte macroéconomique favorable malgré les turbulences
L'année 2025 n'a pas été un long fleuve tranquille. En avril, l'annonce de tarifs douaniers agressifs par l'administration Trump a provoqué une correction brutale, le S&P 500 perdant près de 20 % en quelques semaines. La reprise s'est amorcée en juillet avec l'adoption de mesures fiscales favorables aux entreprises.
La Réserve fédérale a poursuivi son assouplissement monétaire, abaissant son taux directeur à 3,5 %-3,75 % en décembre. Jerome Powell a toutefois averti : « Les risques d'inflation sont orientés à la hausse et ceux sur l'emploi à la baisse – une situation délicate. » Le président de la Fed a identifié les tarifs douaniers comme principal facteur d'accélération des prix.
Malgré ces vents contraires, Eric Teal, directeur des investissements de Comerica Wealth Management, estime que « l'économie démontre un scénario Boucle d'Or avec une croissance américaine supérieure au potentiel, une inflation élevée mais en baisse, et un marché du travail moins robuste ».
Valorisations : le spectre de 1999 refait surface
Le revers de cette performance exceptionnelle se lit dans les indicateurs de valorisation. Le ratio Shiller PE (PER ajusté du cycle) atteint 40,22, son deuxième niveau le plus élevé de l'histoire, après le pic de 44,19 en décembre 1999, juste avant l'éclatement de la bulle internet.
Robert Shiller lui-même avait exprimé ses inquiétudes dès 2014 lorsque ce ratio dépassait 25, notant que ce seuil n'avait été franchi que lors des années précédant les krachs de 1929, 1999 et 2007. Les modèles de valorisation suggèrent des rendements annualisés de seulement 0,5 % à 2,3 % sur les dix prochaines années, bien en deçà de la moyenne historique de 9,3 %.
Perspectives 2026 : Wall Street unanimement optimiste, mais l'histoire est prudente
Les 14 stratégistes interrogés par CNBC prévoient tous une hausse du S&P 500 en 2026, avec des objectifs allant de 7 100 (Bank of America) à 8 100 points (Oppenheimer). Le consensus table sur une croissance des bénéfices de 14 % à 15 %, portée par le secteur technologique (+30 % attendu pour les « Magnificent Seven »).
Cependant, l'historique des prévisions de Wall Street invite à la prudence. Sur la période 2020-2024, l'écart moyen entre les prévisions de fin d'année et la réalité a atteint 18 points de pourcentage. De plus, les trois derniers cycles de baisse des taux (2001, 2008, 2020) ont été suivis de corrections de 25 % à 55 % du S&P 500.
Le « rallye de fin d'année » : un signal pour 2026 ?
Le traditionnel « Santa Claus Rally » – les cinq derniers jours de bourse de l'année et les deux premiers de la suivante – affiche historiquement un gain moyen de 1,3 % depuis 1950, avec un taux de réussite de 78 %. Adam Turnquist, stratégiste chez LPL Financial, observe que « la dynamique de fin d'année suggère un contexte favorable pour un rallye du Père Noël positif – historiquement un signal haussier pour janvier et l'année à venir ».
Lorsque ce rallye est positif, le S&P 500 affiche ensuite un gain moyen de 10,4 % sur l'année suivante. En revanche, une performance négative réduit cette moyenne à 6,1 %. L'adage de Yale Hirsch résume cette observation : « Si le Père Noël ne vient pas, les ours pourraient arriver à Wall Street. »
Implications pour les investisseurs français
Pour les épargnants français, la performance du S&P 500 en euros a été moins spectaculaire. L'appréciation de l'euro de 13 % face au dollar a ramené le rendement de l'indice américain à environ 4 % en euros, contre 14 % pour l'Euro Stoxx 50 et 9 % pour le CAC 40.
Cette divergence souligne l'importance de la diversification géographique et de la gestion du risque de change. Le secteur bancaire européen, en hausse de 60 % depuis le début de l'année, constitue l'une des surprises positives pour les portefeuilles diversifiés.
Ce qu'il faut surveiller en 2026
- Politique monétaire : La Fed n'anticipe qu'une seule baisse de taux en 2026. Un changement de présidence à la banque centrale en mai pourrait modifier cette trajectoire.
- Valorisations : Le ratio Shiller PE au-dessus de 40 a historiquement précédé des corrections significatives.
- Concentration du marché : 75 % des gains du S&P 500 depuis octobre 2022 proviennent des « Magnificent Seven ». Un élargissement de la hausse serait un signe de solidité.
- Tarifs douaniers : L'évolution de la politique commerciale américaine reste un facteur d'incertitude majeur pour les multinationales.
- Bénéfices : Les attentes de croissance de 15 % en 2026 sont ambitieuses et laisseraient peu de marge d'erreur.
Conclusion
Le « Triple Crown » du S&P 500 témoigne de la résilience de l'économie américaine et de la puissance transformatrice de l'intelligence artificielle. Toutefois, les valorisations élevées et les incertitudes macroéconomiques invitent à une gestion prudente des risques. Pour les investisseurs de long terme, la diversification géographique et sectorielle reste la stratégie la plus adaptée à ce contexte de fin de cycle.