Oracle Corporation a vu son action chuter de 11 % en après-bourse le 10 décembre 2025, après la publication de résultats trimestriels qui ont déçu les investisseurs malgré des indicateurs de croissance impressionnants dans l'intelligence artificielle. Le géant américain des logiciels d'entreprise se retrouve au cœur d'un paradoxe : un carnet de commandes record de 523 milliards de dollars, mais des inquiétudes croissantes sur sa trajectoire financière.
Des résultats contrastés : le chiffre d'affaires déçoit
Pour le deuxième trimestre de l'exercice fiscal 2026, Oracle a affiché un chiffre d'affaires de 16,06 milliards de dollars, en hausse de 14 % sur un an, mais inférieur aux 16,21 milliards attendus par les analystes. Le bénéfice par action ajusté s'est établi à 2,26 dollars, dépassant largement les 1,64 dollars anticipés, soit une progression de 54 % sur un an.
La surprise négative provient principalement de l'activité logicielle traditionnelle, dont les revenus ont reculé de 3 % à 5,88 milliards de dollars, sous les 6,06 milliards attendus. Cette contraction illustre les défis de la transition vers le cloud que traverse l'entreprise fondée par Larry Ellison.
L'infrastructure cloud explose, mais ne suffit pas
Le segment cloud a affiché des performances robustes, avec un chiffre d'affaires de 7,98 milliards de dollars, légèrement au-dessus du consensus de 7,92 milliards. L'infrastructure cloud (OCI) a bondi de 68 % à 4,1 milliards de dollars, témoignant de l'appétit des entreprises pour les capacités d'intelligence artificielle d'Oracle.
Doug Kehring, directeur financier principal d'Oracle, a souligné lors de la conférence téléphonique que « les RPO ont été portés par de nouveaux engagements de Meta, Nvidia et d'autres ». Ces contrats géants propulsent le carnet de commandes (Remaining Performance Obligations) à un niveau record de 523 milliards de dollars, en hausse vertigineuse de 438 % sur un an.
50 milliards de dollars d'investissements : le pari risqué
La direction a relevé ses prévisions de dépenses d'investissement (CapEx) à 50 milliards de dollars pour l'exercice fiscal 2026, contre 35 milliards annoncés en septembre et 21,2 milliards l'année précédente. Cette explosion des investissements vise à répondre à la demande croissante pour l'infrastructure IA, notamment dans le cadre du projet Stargate avec OpenAI.
Cependant, cette stratégie agressive a un coût : le free cash flow du trimestre s'est établi à -10 milliards de dollars, bien au-delà des -5,2 milliards anticipés par les analystes. Rebecca Wettemann, analyste chez Valoir, observe que « le marché a été très nerveux concernant la dépendance excessive d'Oracle à OpenAI et d'autres projets IA du point de vue des RPO et des prévisions ».
Barclays tire la sonnette d'alarme sur la dette
Les inquiétudes sur la trajectoire financière d'Oracle ont été amplifiées par un rapport cinglant de Barclays publié en novembre. L'analyste Andrew Keches a abaissé la recommandation sur la dette d'Oracle, soulignant un ratio dette/capitaux propres de 500 %, le plus élevé parmi les grandes entreprises technologiques. À titre de comparaison, Amazon affiche un ratio de 50 %, Microsoft de 30 %.
« Nous peinons à voir comment la trajectoire de crédit d'Oracle pourrait s'améliorer »
Barclays prévoit que la notation de crédit d'Oracle pourrait glisser vers BBB-, proche du seuil des obligations spéculatives (« junk bonds »). La banque estime que les réserves de trésorerie pourraient s'épuiser d'ici novembre 2026.
Une concurrence féroce dans le cloud
Malgré ses ambitions, Oracle ne détient que 3 % du marché mondial de l'infrastructure cloud, loin derrière AWS (30 %), Microsoft Azure (20 %) et Google Cloud (13 %). Pour combler cet écart, l'entreprise mise sur le projet Stargate, une coentreprise de 500 milliards de dollars avec OpenAI, SoftBank et MGX pour construire des centres de données IA aux États-Unis.
Gil Luria, analyste chez D.A. Davidson, a qualifié Oracle de représentant du « mauvais comportement dans la construction de l'IA ». Il contraste la situation avec Microsoft, Amazon et Google, qui disposent de la trésorerie et de la demande client pour justifier leurs expansions rapides.
Nouveaux dirigeants, nouvelle stratégie ?
Ce trimestre marque également le premier rapport sous la direction des nouveaux co-CEO Clay Magouyrk et Mike Sicilia, qui ont succédé à Safra Catz en septembre. Ils ont annoncé plusieurs victoires commerciales majeures, notamment avec Airbus, Deutsche Bank, LSEG, Panasonic, Canon et Rubrik.
Larry Ellison a également annoncé la vente de la participation d'Oracle dans le concepteur de puces Ampere à SoftBank pour 6,5 milliards de dollars, générant un gain avant impôts de 2,7 milliards. Le fondateur a justifié cette décision par un engagement envers la « neutralité des puces », préférant ne plus concevoir et fabriquer ses propres processeurs.
Perspectives et guidance
Pour le troisième trimestre fiscal, Oracle anticipe un bénéfice par action ajusté de 1,70 à 1,74 dollar et une croissance du chiffre d'affaires de 19 % à 21 %. Ces prévisions, bien qu'optimistes, n'ont pas suffi à rassurer les investisseurs face à l'ampleur des défis financiers.
Impact sur le secteur technologique
La chute d'Oracle a entraîné d'autres valeurs technologiques liées à l'IA dans son sillage. Nvidia et AMD ont chacun reculé d'environ 1 %, tandis que le fournisseur cloud CoreWeave a perdu plus de 3 %. Ces mouvements reflètent les inquiétudes croissantes des investisseurs quant à la soutenabilité des investissements massifs dans l'infrastructure IA.
Ce qu'il faut retenir
- Chiffre d'affaires : 16,06 milliards de dollars (+14 %), sous les attentes
- BPA ajusté : 2,26 dollars (+54 %), au-dessus des attentes
- Carnet de commandes : 523 milliards de dollars (+438 %)
- CapEx prévu : 50 milliards de dollars pour FY2026
- Free cash flow : -10 milliards de dollars
- Ratio dette/capitaux propres : 500 %
Oracle se trouve à un moment charnière de son histoire. Le pari sur l'intelligence artificielle génère une demande sans précédent, mais le financement de cette expansion suscite des interrogations légitimes. Les prochains trimestres seront déterminants pour savoir si la stratégie des nouveaux dirigeants permettra de transformer ces engagements colossaux en croissance rentable.