Le cours de l'or a franchi lundi matin pour la première fois la barre des 4 440 dollars l'once, établissant un nouveau record historique. Cette progression remarquable de 68 % depuis le début de l'année 2025 marque la meilleure performance annuelle du métal jaune depuis 1979, portée par une demande institutionnelle sans précédent et des tensions géopolitiques persistantes.
Un nouveau sommet historique dans un contexte de dédollarisation
Vers 10h00 ce lundi, l'once de métal jaune se négociait à 4 440,42 dollars, dépassant nettement le précédent record de 4 381,58 dollars atteint à la mi-octobre. Cette envolée spectaculaire s'inscrit dans un mouvement de fond qui a vu l'or progresser de plus de 55 % en 2025, franchissant successivement les seuils symboliques de 3 000 puis 4 000 dollars l'once.
Selon les données de J.P. Morgan, la demande combinée des investisseurs et des banques centrales a atteint environ 980 tonnes au troisième trimestre 2025, soit 50 % de plus que la moyenne des quatre trimestres précédents. Cette ruée vers le métal précieux reflète une profonde mutation du système monétaire international.
« Bien que cette hausse ne sera pas linéaire, les tendances qui alimentent ce rééquilibrage ne sont pas épuisées »
— Natasha Kaneva, Responsable de la stratégie mondiale des matières premières chez J.P. Morgan
Les banques centrales accumulent à un rythme record
Les achats d'or par les banques centrales constituent le principal moteur de cette hausse historique. Pour la troisième année consécutive, les institutions monétaires ont acquis plus de 1 000 tonnes de métal jaune, contre une moyenne de 457 tonnes entre 2010 et 2021. Au troisième trimestre 2025, les achats cumulés atteignaient déjà 634 tonnes.
Fait remarquable : en valeur, l'or a dépassé les bons du Trésor américain dans les réserves des banques centrales à l'été 2025. Cela ne s'était pas produit depuis 1995, soulignant l'ampleur du basculement en cours.
Les principaux acheteurs sont les banques centrales des pays émergents :
- Russie : 2 332,7 tonnes de réserves, représentant plus de 40 % de ses réserves totales
- Chine : 2 292 tonnes, avec une augmentation de 13 tonnes au premier trimestre 2025
- Pologne, Inde, Turquie : Plus de 600 tonnes accumulées conjointement depuis 2021
La dédollarisation accélère la demande
Le recul du dollar dans les réserves mondiales alimente directement la demande d'or. Selon les dernières données, la part du billet vert dans les réserves de change mondiales est tombée à 56,32 % au deuxième trimestre 2025, son niveau le plus bas depuis au moins trois décennies.
Une enquête du World Gold Council menée auprès de 60 banques centrales révèle que 73 % des responsables anticipent une baisse continue de la part du dollar dans les réserves mondiales au cours des cinq prochaines années. Par ailleurs, 95 % estiment que les réserves d'or mondiales continueront d'augmenter.
Les pays du bloc BRICS, rejoints par l'Arabie saoudite, l'Égypte et les Émirats arabes unis, ont acheté environ 800 tonnes d'or en 2025, pour une valeur proche de 105 milliards de dollars. Le commerce bilatéral d'or entre la Russie et la Chine a bondi de 80 % cette année, avec des règlements en roubles et yuans contournant le système financier occidental.
Les politiques monétaires soutiennent le métal jaune
La Réserve fédérale américaine a abaissé ses taux directeurs à 3,5 %-3,75 % lors de sa réunion du 10 décembre, sa troisième baisse de l'année. De son côté, la Banque centrale européenne maintient son taux principal à 2,15 % depuis juin, après avoir procédé à 8 baisses au cours des 12 derniers mois.
Ces politiques monétaires accommodantes réduisent le coût d'opportunité de détenir de l'or, un actif qui ne génère pas de rendement. Gregory Shearer, responsable de la stratégie métaux de base et précieux chez J.P. Morgan, confirme que « la demande des banques centrales restera élevée l'année prochaine ».
L'argent métal suit le mouvement avec un bond de 128 %
L'argent n'est pas en reste dans ce rallye des métaux précieux. Le métal blanc a atteint un record de 68,96 dollars l'once, affichant une progression spectaculaire de 128 % depuis le début de l'année. Cette performance historique est portée par une double dynamique : la demande industrielle (panneaux solaires, véhicules électriques, centres de données IA) et un déficit d'approvisionnement pour la cinquième année consécutive.
Les stocks d'argent au London Bullion Market Association ont chuté d'un tiers, passant de 31 023 tonnes en juin 2022 à 22 126 tonnes en mars 2025. Les États-Unis ont officiellement classé l'argent comme « minerai critique » fin 2025.
Perspectives : vers les 5 000 dollars en 2026 ?
Les grandes banques d'investissement maintiennent des prévisions optimistes pour le métal jaune :
- J.P. Morgan : 5 055 dollars l'once en moyenne au quatrième trimestre 2026, puis 5 400 dollars fin 2027
- Goldman Sachs : Objectif relevé à 4 900-5 000 dollars pour 2026
- HSBC : Potentiel de 5 000 dollars au premier semestre 2026
Pour les investisseurs français, les experts recommandent une allocation de 5 % du portefeuille en or physique ou papier (ETF, certificats) dans une optique de diversification. Marc Touati, économiste, rappelle que « l'or reste une valeur refuge incontournable pour l'épargnant averti » face aux incertitudes économiques et politiques.
Ce qu'il faut surveiller
Plusieurs facteurs pourraient influencer la trajectoire de l'or dans les prochains mois :
- L'évolution de la politique monétaire de la Fed en 2026 (actuellement une seule baisse anticipée)
- Les tensions géopolitiques, notamment entre les États-Unis et la Chine sur les tarifs douaniers
- La poursuite des achats des banques centrales émergentes
- Le niveau du dollar américain et l'appétit pour les actifs refuges
Dans un environnement marqué par l'incertitude, l'or confirme son statut de valeur refuge par excellence, offrant une protection contre l'inflation et les crises systémiques. La restructuration en cours du système monétaire international, avec la montée en puissance des alternatives au dollar, suggère que cette tendance haussière pourrait se poursuivre au-delà des niveaux actuels.