L'essentiel à retenir
L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a publié ce 11 décembre son rapport mensuel sur le marché pétrolier, révisant pour la première fois depuis mai à la baisse ses prévisions d'excédent mondial. L'offre devrait dépasser la demande de 3,84 millions de barils par jour (mb/j) en 2026, contre 4,09 mb/j anticipés en novembre, soit une réduction de 231 000 barils quotidiens.
Cette révision intervient alors que la production mondiale a brutalement décéléré : l'offre a chuté de 610 000 barils par jour en novembre et de 1,5 mb/j depuis le record de septembre. L'OPEP+ représente 80 % de ce déclin, principalement en raison de l'impact des sanctions américaines sur les exportations russes.
Les sanctions américaines bouleversent les flux russes
Le 21 novembre 2025, les sanctions américaines visant Rosneft et Lukoil sont entrées en vigueur. Ces deux géants représentent à eux seuls 2,2 millions de barils par jour, soit environ la moitié des exportations de brut russe. En incluant Surgutneftegaz et Gazprom Neft, déjà sous sanctions, ce sont désormais 70 % des volumes d'exportation russes qui sont affectés.
Les conséquences sont immédiates et spectaculaires :
- Exportations russes totales : 6,9 mb/j en novembre, en baisse de 420 000 b/j
- Prix du brut Urals : 43,52 $/baril, en chute de 8,2 $ par rapport au mois précédent
- Décote par rapport au Brent : 23,51 $/baril, la plus importante depuis mars 2023
- Revenus d'exportation : 11 milliards de dollars en novembre, soit 3,6 milliards de moins qu'il y a un an
« Les exportations pétrolières russes entrent dans une nouvelle phase de perturbation alors que les sanctions ciblant Rosneft et Lukoil prennent effet, poussant ses deux plus gros clients - l'Inde et la Chine - à réduire fortement leurs achats de décembre. »
— Analystes de JPMorgan
L'Inde et la Chine réduisent leurs achats
Les deux principaux acheteurs de pétrole russe ont significativement réduit leurs commandes depuis l'entrée en vigueur des sanctions :
Chine
Les importations maritimes chinoises de brut russe ont chuté de 18 % en novembre par rapport au mois précédent. Lukoil a subi la plus forte contraction, avec une baisse de 69 % de ses exportations vers la Chine, suivie de Rosneft (-18 %). Les géants d'État Sinopec et PetroChina ont annulé certaines cargaisons.
Pour compenser, la Chine s'est tournée vers d'autres fournisseurs : les livraisons d'Arabie Saoudite ont augmenté de 24 %, celles d'Oman de 28 %.
Inde
Cinq des principaux raffineurs indiens, dont Reliance Industries, Bharat Petroleum et Hindustan Petroleum, n'ont passé aucune commande de brut russe pour décembre. Ces entreprises représentent près des deux tiers des importations indiennes de pétrole russe cette année.
Les achats indiens devraient toutefois se maintenir autour de 600 000 barils par jour en janvier, contre 1,6 à 1,8 million de barils ces derniers mois.
Un « super-excédent » historique en perspective
Malgré cette révision à la baisse, l'excédent prévu pour 2026 reste historique. Trafigura, l'un des plus grands négociants de matières premières au monde, a tiré la sonnette d'alarme.
« Si nous regardons ce qui génère ces anticipations de super-excédent, il est difficile de voir comment nous n'y arrivons pas. »
— Saad Rahim, économiste en chef de Trafigura, décembre 2025
Ben Luckock, responsable du trading pétrolier chez Trafigura, anticipe une chute des cours sous les 60 dollars le baril : « Je m'attends à ce que nous descendions dans les 50 dollars à un moment donné autour de Noël et du Nouvel An. »
Les facteurs structurels de l'excédent
Plusieurs éléments convergent vers un marché durablement surapprovisionné :
- Production américaine record : le bassin permien atteint un pic historique de 6,76 mb/j en décembre 2025, portant la production totale américaine à 13,4 mb/j
- Nouveaux projets : Guyane, Brésil et Canada augmentent leur production après des années d'investissements
- Demande chinoise atone : le ralentissement économique et l'essor des véhicules électriques pèsent sur la consommation
- Stocks mondiaux élevés : les réserves observées ont atteint un plus haut de quatre ans à près de 8 milliards de barils en octobre
OPEP vs AIE : deux visions du marché
L'Organisation des pays exportateurs de pétrole maintient une vision radicalement différente du marché. Dans son rapport mensuel de décembre, l'OPEP anticipe un équilibre entre l'offre et la demande en 2026, avec un besoin de production du groupe DoC (Déclaration de coopération) de 43 millions de barils par jour, en ligne avec les niveaux actuels.
Cette divergence d'analyse reflète des méthodologies et des intérêts différents :
- AIE : prévoit une croissance de la demande de 830 000 b/j en 2025 et 860 000 b/j en 2026
- OPEP : anticipe une croissance de 1,3 mb/j en 2025 et 1,4 mb/j en 2026
L'OPEP+ a d'ailleurs gelé ses augmentations de production prévues pour le premier trimestre 2026, reconnaissant implicitement les risques de surabondance.
Prévisions de prix pour 2026
Les principales institutions financières s'accordent sur une tendance baissière des cours :
| Institution | Brent 2026 | WTI 2026 |
|---|
| EIA (Energy Information Administration) | 55 $/b (T1) | 51 $/b |
| J.P. Morgan | 58 $/b | 60 $/b (fin 2026) |
| Macquarie | 60,75 $/b | 56,63 $/b |
Le Brent a déjà reculé de près de 20 dollars depuis janvier 2025, évoluant actuellement autour de 63-64 dollars le baril.
Implications pour les épargnants français
Pour les investisseurs et consommateurs français, cette évolution du marché pétrolier présente plusieurs implications :
Impact sur les prix à la consommation
Selon la Banque de France, une variation de 10 euros du prix du baril de pétrole se traduit par une hausse de 0,4 % des prix à la consommation. La baisse attendue des cours devrait donc exercer une pression désinflationniste bienvenue.
Les prix de l'électricité régulée devraient diminuer d'environ 9 % en février 2025, une bonne nouvelle pour les ménages après plusieurs années de hausses liées à la crise énergétique.
Stratégies d'investissement
- Secteur pétrolier : les majors européennes (TotalEnergies, Shell, BP) pourraient voir leurs marges se comprimer. Les valorisations intègrent des cours du Brent supérieurs aux prévisions 2026
- Actions russes : les sanctions renforcées rendent ces actifs encore plus risqués et illiquides pour les investisseurs occidentaux
- Valeurs de la transition énergétique : un pétrole durablement bas pourrait paradoxalement freiner certains investissements verts, mais accélère l'adoption des véhicules électriques
- Devises : les monnaies des pays exportateurs (rouble, couronne norvégienne, dollar canadien) pourraient subir des pressions
Ce qu'il faut surveiller
Plusieurs indicateurs permettront de suivre l'évolution de ce marché dans les semaines à venir :
- Réunion OPEP+ de janvier 2026 : le cartel pourrait prolonger le gel des hausses de production ou annoncer de nouvelles coupes
- Demande chinoise : les indicateurs de consommation du premier trimestre 2026 seront déterminants
- Adaptation des flux russes : l'émergence de nouveaux traders (Tatneft, Rusexport, Alghaf Marine) pourrait partiellement restaurer les volumes
- Production américaine : la capacité du bassin permien à maintenir son plateau de 6,5-6,76 mb/j
- Stocks mondiaux : tout signe de déstockage signalerait un rééquilibrage du marché
Conclusion
Le marché pétrolier mondial entre dans une phase de surabondance structurelle inédite. Si les sanctions américaines parviennent temporairement à réduire les flux russes, l'excédent prévu pour 2026 reste historique, porté par la production américaine record et une demande mondiale insuffisante.
Pour les épargnants français, cette configuration suggère des prix de l'énergie contenus à court terme, mais appelle à la vigilance sur les expositions au secteur pétrolier dans les portefeuilles d'investissement. La divergence persistante entre les prévisions de l'AIE et de l'OPEP rappelle également l'incertitude inhérente à ce marché, où les chocs géopolitiques peuvent rapidement inverser les tendances.