L'or vient de franchir le seuil symbolique des 4 300 dollars l'once, confirmant une année 2025 exceptionnelle pour le métal précieux. Avec une progression de plus de 60 % depuis janvier et plus de 50 records historiques établis, l'or signe sa meilleure performance depuis 1979, l'année de la révolution iranienne. Derrière cette envolée spectaculaire se cache une transformation profonde du marché, portée par les achats massifs des banques centrales et le retour en force des investisseurs occidentaux.
Les faits marquants de la hausse
Le 12 décembre 2025, l'once d'or s'échangeait à 4 329 dollars, à quelques encablures du record absolu de 4 381,58 dollars atteint en octobre. Cette progression représente un gain de 63,5 % sur l'année, pulvérisant les performances des autres classes d'actifs.
Plusieurs catalyseurs ont alimenté ce rallye historique :
- La politique monétaire accommodante : La Réserve fédérale américaine a procédé à sa troisième baisse de taux consécutive en décembre, ramenant les fed funds à 3,5 %-3,75 %. Un vote divisé (9 contre 3) au sein du FOMC témoigne des tensions persistantes sur l'orientation à suivre.
- L'affaiblissement du dollar : Le billet vert a perdu près de 10 % en 2025, rendant l'or plus attractif pour les investisseurs internationaux.
- Les tensions géopolitiques : Du conflit russo-ukrainien aux incertitudes commerciales liées aux tarifs douaniers américains, l'environnement géopolitique a renforcé l'attrait de l'or comme valeur refuge.
- Les inquiétudes budgétaires : L'explosion de la dette publique américaine et les déficits croissants alimentent les craintes de dévaluation monétaire à long terme.
La ruée des banques centrales : un changement structurel
Le phénomène le plus marquant de ces dernières années reste l'appétit insatiable des banques centrales pour l'or. Depuis 2022, ces institutions accumulent plus de 1 000 tonnes par an, soit le double de la moyenne observée entre 2010 et 2021 (environ 457 tonnes).
Au troisième trimestre 2025, les achats cumulés atteignaient déjà 634 tonnes, laissant présager un total annuel proche de 900 tonnes. Les réserves mondiales officielles avoisinent désormais 36 200 tonnes, un niveau qui se rapproche du record historique de 38 000 tonnes établi en 1965 sous le régime de Bretton Woods.
Les champions de l'accumulation
Quatre pays émergents dominent cette course à l'or :
- Pologne : Avec 67 tonnes acquises au premier semestre 2025 et un total de 515 tonnes, la Banque nationale polonaise a relevé son objectif de 20 % à 30 % des réserves en or.
- Chine : La Banque populaire de Chine enchaîne les mois d'achats consécutifs, portant ses réserves au-delà de 2 300 tonnes. Le pays cherche à renforcer la crédibilité du yuan comme potentielle monnaie de réserve.
- Turquie : Avec 639 tonnes et 21 tonnes supplémentaires en 2025, la Turquie utilise l'or comme bouclier contre la dépréciation de la livre turque.
- Inde : La Reserve Bank of India détient 879,6 tonnes à mars 2025, dans le cadre d'une stratégie délibérée de diversification hors du dollar.
Selon une enquête du World Gold Council, 95 % des banques centrales interrogées anticipent une hausse des réserves mondiales d'or, contre 81 % l'an dernier. Plus frappant encore, 43 % prévoient d'augmenter leurs propres avoirs, contre 29 % en 2024.
La dé-dollarisation en marche
Ce mouvement s'inscrit dans une tendance plus large de diversification des réserves de change. Selon la Banque centrale européenne, l'or est devenu le deuxième actif de réserve mondial en valeur, dépassant toutes les devises sauf le dollar.
Le gel des avoirs russes en 2022 a servi de déclic pour de nombreux pays. Une enquête de la BCE révèle qu'un quart des banques centrales des économies émergentes citent les sanctions ou les évolutions anticipées du système monétaire international comme facteurs déterminants dans leurs décisions d'investissement.
« Les banques centrales réduisent leur dépendance au dollar américain et anticipent des changements sur les marchés des devises, notamment sous l'effet des stablecoins et autres actifs numériques. »
— Lisa Shalett, Morgan Stanley Wealth Management
Le retour en force des investisseurs occidentaux
Après plusieurs années de sorties nettes, les ETF adossés à l'or ont enregistré des flux entrants records en 2025. Selon les données compilées, les flux mondiaux atteignent 57,1 milliards de dollars sur l'année, portant les actifs sous gestion à un niveau record de 445 milliards de dollars.
Le SPDR Gold Shares (GLD), premier ETF or au monde, a attiré 12,9 milliards de dollars en 2025, approchant son record de 2020. En septembre, le fonds a enregistré un afflux journalier de 2,2 milliards de dollars, le plus important de ses 21 ans d'histoire.
L'iShares Gold Trust (IAU) a collecté 8,6 milliards de dollars, tandis que le SPDR Gold MiniShares (GLDM) a attiré 6,2 milliards de dollars supplémentaires.
Ce que disent les analystes
Les grandes banques d'investissement restent majoritairement optimistes sur les perspectives de l'or :
- Goldman Sachs vise 4 900 dollars l'once d'ici fin 2026, citant la demande soutenue des ETF et les achats des banques centrales. La banque évoque même un scénario à 5 000 dollars si l'indépendance de la Fed venait à être remise en question.
- Deutsche Bank a relevé sa prévision 2026 à 4 450 dollars, contre 4 000 dollars précédemment, invoquant la stabilisation des flux investisseurs et la demande institutionnelle persistante.
- JP Morgan anticipe un cours moyen de 3 675 dollars au T4 2025 et une progression vers 4 000 dollars d'ici mi-2026.
« L'or reste l'une des couvertures les plus optimales contre la stagflation, la récession, la dévaluation monétaire et les risques liés à la politique américaine. »
— Gregory Shearer, JP Morgan
Implications pour les épargnants français
La France détient la quatrième plus importante réserve d'or au monde, avec 2 437 tonnes stockées dans les coffres de la Banque de France, à 27 mètres sous les rues de Paris. Ce stock, inchangé depuis 2009, est désormais valorisé entre 177 et 225 milliards d'euros, contre 87,8 milliards en 2018.
Pour les épargnants individuels, plusieurs options s'offrent :
- Or physique : Pièces (Napoléons, Krugerrands) et lingots, exonérés de TVA à l'achat en France. La fiscalité à la revente offre le choix entre la taxe forfaitaire sur les métaux précieux ou le régime des plus-values mobilières.
- ETF or : Plus liquides et sans frais de stockage, mais exposés à un risque de contrepartie. Les frais de gestion oscillent entre 0,25 % (IAU) et 0,40 % (GLD).
- Actions minières : Pour une exposition indirecte avec un effet de levier, mais une volatilité accrue.
Les experts recommandent généralement une allocation de 5 à 10 % du patrimoine en or, à titre de diversification et de protection contre l'inflation.
Risques et points de vigilance
Malgré les perspectives favorables, plusieurs facteurs pourraient freiner la hausse :
- Niveaux de prix élevés : Le World Gold Council note que les cours actuels pourraient contraindre les achats des banques centrales.
- Rebond du dollar : Une accélération de la croissance américaine pourrait renforcer le billet vert et peser sur l'or.
- Hausse des taux réels : Si l'inflation repart et que la Fed durcit sa politique, le coût d'opportunité de détenir de l'or augmenterait.
- Prises de bénéfices : Après une hausse de 60 %, une consolidation technique reste possible.
State Street Global Advisors attribue 20 % de probabilité à un scénario baissier avec un or entre 2 200 et 2 600 dollars, si la croissance américaine accélère et renforce le dollar.
Conclusion : un nouvel équilibre mondial
L'envolée de l'or en 2025 dépasse le simple rallye conjoncturel. Elle traduit une recomposition des réserves mondiales, une remise en question progressive de l'hégémonie du dollar et une quête de sécurité dans un environnement géopolitique incertain.
Pour les investisseurs français, l'or offre une protection éprouvée contre l'érosion monétaire et la volatilité des marchés. Dans un portefeuille diversifié, une exposition maîtrisée au métal jaune peut constituer un ancrage de stabilité, à condition d'intégrer les risques inhérents aux niveaux de valorisation actuels.