NVIDIA vient de réaliser la plus grosse acquisition de son histoire en concluant un accord de 20 milliards de dollars avec Groq, la start-up spécialisée dans les puces d'inférence IA. Annoncée le 24 décembre 2025, cette transaction éclipse largement le précédent record de l'entreprise : l'acquisition de Mellanox pour 6,9 milliards de dollars en 2019.
Un accord de licence stratégique plutôt qu'une acquisition classique
Contrairement aux apparences, NVIDIA n'acquiert pas Groq en tant qu'entreprise. Comme l'a précisé Jensen Huang, PDG de NVIDIA, dans un email interne : « Nous ajoutons des employés talentueux à nos rangs et obtenons une licence sur la propriété intellectuelle de Groq, mais nous n'achetons pas Groq en tant que société. »
L'accord prévoit une licence non exclusive sur la technologie d'inférence de Groq, ce qui signifie que les deux parties conservent la liberté de conclure d'autres partenariats. Le fondateur Jonathan Ross et le président Sunny Madra rejoindront NVIDIA pour développer et déployer cette technologie à grande échelle. Simon Edwards prend la direction de Groq en tant que nouveau PDG, et la plateforme GroqCloud continuera de fonctionner sans interruption.
Pourquoi 20 milliards pour une licence ?
Le montant peut sembler élevé pour un accord de licence. Stacy Rasgon, analyste chez Bernstein, observe : « 20 milliards de dollars paraît cher pour un accord de licence », avant de nuancer : « mais cette somme reste de l'argent de poche pour NVIDIA compte tenu de ses 61 milliards de dollars de trésorerie. »
La valorisation représente près de trois fois celle de Groq lors de sa dernière levée de fonds : 6,9 milliards de dollars en septembre 2025, après avoir collecté 750 millions de dollars auprès d'investisseurs comme BlackRock, Samsung et Cisco.
La technologie LPU : 10 fois plus rapide que les GPU pour l'inférence
L'intérêt de NVIDIA réside dans la technologie propriétaire de Groq : le LPU (Language Processing Unit). Contrairement aux GPU qui excellent dans le traitement parallèle, le LPU est optimisé pour le traitement séquentiel, caractéristique des modèles de langage.
Les performances sont significatives :
- 241 tokens par seconde selon ArtificialAnalysis.ai, contre environ 50 pour ChatGPT
- Efficacité énergétique 10 fois supérieure aux GPU selon Groq
- Bande passante mémoire de 80 To/s grâce à une architecture SRAM intégrée
Jonathan Ross, le fondateur de Groq, n'est pas un inconnu : il a co-inventé le TPU (Tensor Processing Unit) chez Google avant de fonder Groq en 2016. Jensen Huang a déclaré vouloir « intégrer les processeurs à faible latence de Groq dans l'architecture NVIDIA AI factory pour étendre la plateforme à une gamme encore plus large de charges de travail d'inférence et en temps réel. »
L'inférence : le nouveau champ de bataille de l'IA
Cette acquisition s'inscrit dans un contexte de basculement du marché. Selon Deloitte, les charges de travail d'inférence représenteront environ 66 % de l'ensemble du calcul IA en 2026, contre seulement 33 % en 2023.
Le marché de l'inférence IA devrait passer de 106 milliards de dollars en 2025 à 255 milliards de dollars d'ici 2030, avec une croissance annuelle de 17 à 19 %. Les coûts d'inférence ont chuté de 280 fois entre novembre 2022 et octobre 2024, rendant le déploiement à grande échelle économiquement viable.
Vivek Arya, analyste chez Bank of America, note que l'accord « implique la reconnaissance par NVIDIA que si les GPU ont dominé l'entraînement de l'IA, le basculement rapide vers l'inférence pourrait nécessiter des puces plus spécialisées. »
Un coup dur pour AMD et Intel
L'annonce constitue un revers stratégique pour les concurrents de NVIDIA. AMD et Intel avaient passé une grande partie de 2025 à positionner leurs puces respectives MI350 et Gaudi 3 comme des alternatives « optimisées pour l'inférence » aux GPU NVIDIA.
AMD a lancé sa série MI350 au prix d'environ 25 000 dollars, promettant jusqu'à 35 fois plus de performances d'inférence que la génération précédente. Intel propose son Gaudi 3 à un prix agressif pour concurrencer NVIDIA.
Avec cet accord, NVIDIA neutralise une technologie concurrente tout en renforçant son arsenal. L'entreprise conserve environ 80 à 92 % du marché des GPU IA, et cette acquisition pourrait consolider sa position sur le segment de l'inférence.
Risques et perspectives
Le principal risque identifié par les analystes concerne l'antitrust. Stacy Rasgon observe toutefois que « structurer l'accord comme une licence non exclusive peut maintenir la fiction de la concurrence. » NVIDIA évite ainsi le scénario de son échec avec ARM en 2022, où un projet d'acquisition de 40 milliards de dollars avait été bloqué par les régulateurs.
Tristan Gerra, analyste chez Baird, voit un potentiel à long terme : « Les ASIC personnalisés pourraient être accroissants pour le marché adressable total de NVIDIA au fil du temps. »
Ce que cela signifie pour les investisseurs
L'action NVIDIA se négocie actuellement à 189,85 dollars, avec une capitalisation boursière de 4 590 milliards de dollars, ce qui en fait l'entreprise la plus valorisée au monde. Le titre a progressé d'environ 30 % depuis le début de l'année 2025.
Un analyste de Seeking Alpha a relevé sa recommandation à « Achat » avec un objectif de cours de 245 dollars, suggérant un potentiel de hausse d'environ 30 %. La comparaison avec Mellanox est instructive : cette acquisition de 2019 est devenue la base d'une activité réseau générant plus de 10 milliards de dollars de revenus.
Le chiffre d'affaires des centres de données de NVIDIA a atteint 51,2 milliards de dollars au dernier trimestre, avec des marges brutes de 73,6 %. La société dispose des ressources nécessaires pour intégrer cette nouvelle technologie et potentiellement reproduire le succès de Mellanox.
Conclusion
L'acquisition de la technologie Groq par NVIDIA pour 20 milliards de dollars marque un tournant stratégique dans la guerre des puces IA. En sécurisant une technologie d'inférence éprouvée et en recrutant ses créateurs, NVIDIA renforce sa position dominante tout en anticipant le basculement du marché vers l'inférence. Pour les investisseurs, cette opération rappelle le coup de maître de Mellanox et pourrait définir les bases d'une nouvelle source de revenus majeure.