La plateforme américaine de marchés de prédiction Kalshi vient de boucler une levée de fonds historique de 1 milliard de dollars en Série E, portant sa valorisation à 11 milliards de dollars. Cette opération confirme l'émergence des marchés de prédiction comme nouvelle classe d'actifs financiers.
Le 2 décembre 2025, Kalshi a annoncé avoir bouclé une levée de fonds en Série E de 1 milliard de dollars, propulsant la valorisation de l'entreprise à 11 milliards de dollars. Cette opération, menée par le fonds crypto Paradigm, marque un tournant historique pour l'industrie des marchés de prédiction.
La liste des investisseurs participants ressemble à un who's who de la Silicon Valley : Sequoia Capital, Andreessen Horowitz, Meritech Capital Partners, IVP, ARK Invest, Anthos Capital, CapitalG (le fonds de croissance d'Alphabet) et Y Combinator. Cette concentration de capital-risqueurs prestigieux témoigne de la confiance du marché dans le potentiel de cette nouvelle classe d'actifs.
Les métriques de Kalshi illustrent une trajectoire de croissance exceptionnelle :
La valorisation de l'entreprise a été multipliée par 5,5 en seulement cinq mois. En juillet 2025, Kalshi était valorisée à 2 milliards de dollars lors d'une levée de 185 millions. En octobre, une levée de 300 millions portait cette valorisation à 5 milliards. Aujourd'hui, elle atteint 11 milliards.
Un marché de prédiction permet aux participants d'acheter et de vendre des contrats dont la valeur dépend de l'issue d'événements futurs. Contrairement aux paris sportifs traditionnels, ces marchés couvrent un spectre bien plus large : élections, indicateurs économiques, décisions de banques centrales, événements géopolitiques, ou encore tendances culturelles.
La théorie économique sous-jacente est celle de l'« agrégation d'information » : en permettant aux participants de « voter avec leur portefeuille », les marchés de prédiction produisent des probabilités qui reflètent l'intelligence collective du marché. Plusieurs études académiques ont démontré leur supériorité par rapport aux sondages traditionnels pour prédire les résultats électoraux.
Fondée en 2018 par deux anciens camarades du MIT, Tarek Mansour (CEO) et Luana Lopes Lara, Kalshi s'est distinguée par son approche réglementaire. L'entreprise a obtenu l'agrément de la CFTC (Commodity Futures Trading Commission), devenant ainsi le premier marché de prédiction régulé aux États-Unis.
Cette régulation fédérale lui permet d'opérer légalement dans des États où les paris traditionnels sont interdits. En 2024, Kalshi a remporté une bataille juridique cruciale contre la CFTC, obtenant le droit de proposer des contrats sur les élections présidentielles. Cette victoire a ouvert la voie à une expansion significative de ses activités.
« Kalshi remplace le débat, la subjectivité et les discours par des marchés, la précision et la vérité », déclare Tarek Mansour, CEO de Kalshi.
Tarek Mansour affiche une ambition démesurée : selon lui, les marchés de prédiction pourraient rivaliser avec les bourses traditionnelles d'ici quelques années. « Ces marchés font un excellent travail pour distiller l'information et faire émerger la vérité », a-t-il déclaré lors de la conférence Future of Global Markets 2025.
L'entreprise vise à « financialiser tout et créer un actif tradable à partir de toute différence d'opinion ». Cette vision s'accompagne d'une stratégie d'expansion agressive : intégration de plateformes de courtage, nouveaux partenariats (dont un récent accord avec CNN pour les données de prédiction), et développement de produits stablecoins pour l'expansion internationale.
Matt Huang, co-fondateur et managing partner de Paradigm, le fonds qui a mené cette levée de fonds, compare l'essor des marchés de prédiction aux premières années des cryptomonnaies.
« La croissance exponentielle de Kalshi démontre l'ampleur de la demande latente pour les marchés de prédiction en tant que nouvelle classe d'actifs — des institutions aux particuliers. Les utilisateurs viennent pour un type de marché et restent pour la diversité de l'offre. Nous voyons cela comme un phénomène culturel et économique sans limite, similaire à ce que nous ressentions pour la crypto il y a dix ans. »
Kalshi n'est pas seul sur ce marché en pleine expansion. Son principal rival, Polymarket, a lui aussi levé des capitaux massifs. En octobre 2025, Intercontinental Exchange (ICE), la maison mère du New York Stock Exchange, a annoncé un investissement stratégique pouvant atteindre 2 milliards de dollars dans Polymarket, valorisant l'entreprise à environ 9 milliards de dollars.
Au-delà de l'investissement, ICE deviendra distributeur mondial des données de Polymarket, fournissant à ses clients des indicateurs de sentiment sur des sujets d'importance économique.
Les géants du pari sportif s'intéressent également au secteur :
En France, la situation est plus complexe. L'Autorité Nationale des Jeux (ANJ) considère les marchés de prédiction comme des jeux d'argent et non comme des instruments financiers. Polymarket a été bloqué pour les résidents français en 2024, bien que l'accès via VPN reste techniquement possible.
Cette classification réglementaire diffère de l'approche américaine où la CFTC supervise ces marchés comme des contrats à terme. Les investisseurs français souhaitant accéder à ces plateformes doivent naviguer dans un environnement juridique incertain.
L'AMF (Autorité des Marchés Financiers) n'a pas encore pris position formelle sur cette nouvelle classe d'actifs, se concentrant en 2025 sur l'implémentation de la réglementation DORA et le renforcement des pouvoirs de l'ESMA pour les cryptoactifs.
L'émergence des marchés de prédiction comme classe d'actifs à part entière soulève plusieurs questions pour les investisseurs :
Avec près de 4 milliards de dollars levés collectivement par Kalshi et Polymarket en 2025, et l'entrée d'acteurs institutionnels majeurs comme ICE, les marchés de prédiction semblent avoir franchi un cap décisif.
La prochaine étape pourrait être l'intégration de ces marchés dans les offres de courtiers grand public, permettant aux investisseurs particuliers d'accéder facilement à cette nouvelle classe d'actifs aux côtés de leurs portefeuilles d'actions et d'obligations.
Pour l'instant, les investisseurs européens devront observer de loin cette révolution financière, en attendant que les régulateurs clarifient le cadre juridique applicable.
