L'offensive tarifaire de Trump redessine le commerce mondial
L'année 2025 marque un tournant historique dans les échanges commerciaux internationaux. Depuis son retour à la Maison-Blanche, le président Donald Trump a mis en œuvre une politique protectionniste d'une ampleur inédite depuis la Grande Dépression des années 1930. Les droits de douane américains sont passés de 3 % en moyenne avant son mandat à un taux effectif compris entre 29,8 % et 37,8 % en 2025, selon une analyse du Centre for Economic Policy Research (CEPR).
Cette escalade tarifaire frappe tous les partenaires commerciaux des États-Unis, avec des conséquences particulièrement sévères pour certains : le taux bilatéral avec la Chine atteint désormais environ 125 %, tandis que l'Union européenne fait face à un taux effectif de 17 %, contre moins de 2 % auparavant. Pour Pierre-Olivier Gourinchas, économiste en chef du FMI, « nous entrons dans une nouvelle ère, alors que le système économique mondial qui a fonctionné pendant les 80 dernières années est en train d'être réinitialisé ».
L'Europe et la France : premières victimes collatérales
L'impact sur l'économie européenne est déjà tangible. Le Fonds monétaire international a abaissé ses prévisions de croissance mondiale à 2,8 % pour 2025, contre 3,3 % en 2024, une révision principalement attribuée aux tensions commerciales. L'économie américaine elle-même n'est pas épargnée, avec une croissance attendue de seulement 1,8 % en 2025, bien en deçà des 2,8 % enregistrés l'année précédente.
La France, bien que moins exposée que l'Allemagne ou l'Italie, subit néanmoins un choc significatif. Le gouvernement français a révisé à la baisse ses prévisions de croissance, passant de 0,9 % à 0,7 % pour 2025. Éric Lombard, ministre de l'Économie, estime que les mesures tarifaires américaines pourraient coûter environ 0,2 point de croissance à la France. Dans un scénario plus pessimiste avec une hausse de 20 % des tarifs, l'impact pourrait atteindre 0,5 point de PIB, soit près de 15 milliards d'euros d'activité perdue.
Le taux moyen des droits de douane sur les produits français est passé de 1,5 % en janvier 2025 à 11 % en septembre, selon la Banque de France. Cette hausse rapide met en lumière l'accélération du protectionnisme américain au fil des mois.
Secteurs stratégiques français sous pression
Certains secteurs de l'économie française sont particulièrement vulnérables. L'aéronautique, qui représentait un cinquième des ventes françaises à destination des États-Unis en 2024, peut légitimement redouter un impact majeur. Le secteur des vins et spiritueux, pour lequel les États-Unis constituent de loin le premier débouché international avec 3,8 milliards d'euros d'exportations en 2024 (24,5 % de la valeur totale), est également exposé.
L'industrie du luxe française, bien que résiliente, fait face à une incertitude accrue. Par ailleurs, les secteurs de l'automobile, de l'acier et de l'aluminium subissent des droits de douane à hauteur de 25 %, pesant sur leur compétitivité internationale.
À l'échelle mondiale, l'analyse du CEPR révèle que le commerce international devrait se contracter de 5,5 % à 8,5 % selon les scénarios de représailles. Les secteurs les plus intégrés dans les chaînes de valeur mondiales sont les plus touchés : le transport et l'équipement électrique enregistrent des baisses respectives de 16 % et 12 %.
Les marchés européens dans la tourmente
Les Bourses européennes ont traversé une période de forte volatilité depuis le début de l'année. Le CAC 40 a chuté de 3,3 % à 4,3 % lors des annonces tarifaires d'avril 2025, entraînant le DAX allemand (-3,1 % à -4,7 %) et le FTSE 100 britannique dans son sillage. Le Stoxx Europe 600 a provisoirement clôturé en baisse de 5 %.
L'indice Morningstar France a subi une correction de 15,4 % entre son plus haut du 6 mars et son plus bas du 9 avril 2025. Toutefois, les marchés ont démontré une certaine résilience : le CAC 40 a rebondi de 6,1 % après l'annonce d'un revirement de Trump concernant certains tarifs, et l'indice Morningstar a regagné 10,4 % depuis son point bas.
Cette volatilité reflète l'incertitude des investisseurs face à une politique tarifaire imprévisible, alternant entre escalade et pause dans les négociations.
L'accord de Turnberry : un répit temporaire
Le 27 juillet 2025, l'Union européenne et les États-Unis sont parvenus à un accord-cadre de principe, baptisé accord de Turnberry. À la suite de cet accord, la Commission européenne a suspendu l'entrée en vigueur des contre-mesures européennes pour six mois, par un règlement d'exécution du 5 août 2025.
Ces contre-mesures résultaient de la fusion d'un premier paquet de 21 milliards d'euros publié le 15 avril et d'un second paquet de 72 milliards d'euros. L'accord de Turnberry offre une fenêtre de négociation, mais plusieurs analystes le qualifient de « imparfait et unilatéral », la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ayant dû faire des concessions importantes.
Le 9 avril 2025, Donald Trump avait déjà annoncé une pause temporaire de certains nouveaux tarifs, manifestant une volonté d'ouvrir une nouvelle phase de négociations avec l'UE. Cependant, l'imprévisibilité de l'administration américaine complique toute planification à long terme pour les entreprises européennes.
Réponses économiques et monétaires
La Banque centrale européenne a réagi aux tensions commerciales par une série de baisses de taux. En juin 2025, la BCE a procédé à sa huitième réduction consécutive, abaissant le taux de dépôt à la moitié de son pic atteint en juin 2024. Cette politique accommodante vise à soutenir une croissance européenne fragilisée par les chocs commerciaux.
Les nouvelles projections de la BCE anticipent une inflation moyenne de 2,0 % en 2025, 1,6 % en 2026 et un retour à 2,0 % en 2027. La zone euro a enregistré une croissance de 0,3 % au premier trimestre 2025, légèrement supérieure aux attentes, mais la BCE prévoit un ralentissement au deuxième et troisième trimestre, alors que les effets des nouveaux tarifs se matérialisent.
Malgré l'assouplissement des tensions commerciales depuis le pic d'avril, l'environnement reste marqué par une incertitude élevée. Comme le souligne la BCE dans sa revue de stabilité financière de novembre 2025, « les annonces, pauses et revirements tarifaires sont désormais perçus comme des caractéristiques structurelles de l'environnement mondial ».
L'effondrement du commerce sino-américain
Le commerce bilatéral entre les États-Unis et la Chine a subi un effondrement historique. Les exportations chinoises directes vers les États-Unis ont chuté de près de 90 %, passant de 410 milliards de dollars à seulement 2 milliards, selon les données du CEPR. Cette contraction spectaculaire résulte de tarifs prohibitifs qui rendent les produits chinois non compétitifs sur le marché américain.
Toutefois, la Chine a démontré une capacité d'adaptation remarquable. Les exportations chinoises se sont redirigées vers d'autres marchés : l'Union européenne a connu une hausse de 9 % de ses importations en provenance de Chine, tandis que l'Amérique latine, le Canada et le Mexique ont également absorbé une partie de cette production. Plus de 50 % des produits chinois atteignant encore le marché américain transitent désormais par le Mexique, contournant ainsi partiellement les tarifs directs.
Les importations américaines en provenance de Chine ont globalement diminué de 26 % en glissement annuel, alors que parallèlement, les échanges commerciaux chinois avec l'Indonésie ont progressé de 29,2 %, avec le Vietnam de 23 % et avec l'Inde de 19,4 %.
Canada : l'allié le plus touché
Si la guerre commerciale frappe de nombreux pays, le Canada figure parmi les victimes les plus durement touchées. L'économie canadienne s'est contractée de 1,6 % au deuxième trimestre 2025, une baisse principalement attribuée à la chute des exportations vers les États-Unis. Le taux de chômage a franchi la barre des 7 % en août, reflétant les difficultés des secteurs de l'automobile, de l'acier, de l'aluminium et du bois d'œuvre.
Les tarifs américains sur les produits canadiens atteignent désormais jusqu'à 35 %, avec des taux particulièrement élevés sur l'acier (50 %) et le bois d'œuvre (45 %). Le Canada, qui envoie habituellement environ trois quarts de ses exportations de marchandises vers les États-Unis, subit un choc économique durable.
Face à cette situation, Ottawa a adopté une stratégie de diversification commerciale. Les exportations canadiennes vers l'Europe ont progressé de 22 % en 2025 par rapport à 2024, vers l'Afrique de 18 %, et vers l'Amérique centrale et du Sud de 11 %. Cependant, ces nouveaux débouchés ne couvrent que 25 à 30 % du volume d'exportations perdues vers les États-Unis.
Edward Alden, expert au Council on Foreign Relations, qualifie la réponse canadienne de « rupture radicale avec le passé », le pays cherchant à réduire progressivement sa dépendance économique et militaire vis-à-vis de Washington.
Coûts pour les entreprises et les consommateurs
L'impact financier de la guerre commerciale est considérable. Selon S&P Global, les tarifs coûteront aux entreprises mondiales plus de 1 200 milliards de dollars en 2025, la majeure partie de ce coût étant répercutée sur les consommateurs. « Les tarifs et les barrières commerciales agissent comme des taxes sur les chaînes d'approvisionnement et détournent des liquidités vers les gouvernements ; les retards logistiques et les coûts de fret composent l'effet », explique S&P.
Aux États-Unis, ces tarifs équivalent à une augmentation moyenne de 1 200 dollars par foyer américain en 2025. Un sondage de février 2025 réalisé par The Harris Poll pour Bloomberg News révèle qu'environ 60 % des Américains pensent que des tarifs élevés pourraient entraîner une hausse des prix à la consommation. En France, une étude Ifop d'avril 2025 montre que 71 % des Français estiment que ces mesures nuiront à l'économie de leur pays.
Les chaînes d'approvisionnement mondiales subissent une perturbation majeure. L'industrie automobile, l'un des secteurs les plus mondialisés et complexes, a été particulièrement touchée. L'incertitude est telle que de nombreux investissements ont été suspendus, retardés ou annulés, les acteurs du secteur adoptant une attitude d'attente prudente.
Risques de récession et perspectives
La menace d'une récession plane sur l'économie mondiale. Pierre-Olivier Gourinchas, économiste en chef du FMI, estime les chances d'une récession mondiale à 30 %. Les économistes de JPMorgan se montrent encore plus pessimistes, évaluant ce risque à 60 %.
Claus Vistesen, de Pantheon Macroeconomics, a prévenu qu'« un tarif américain de 30 % sur les exportations de l'UE enverrait l'économie de la zone euro en récession au second semestre 2025 ». Angel Talavera, d'Oxford Economics, estime que « les tarifs américains de 30 % sur les importations en provenance de l'UE menacés par le président Trump pourraient retrancher jusqu'à 0,3 point de pourcentage à la croissance annuelle de la zone euro au cours des deux prochaines années. Cela pousserait l'économie de la zone euro au bord de la récession. »
Toutefois, certains signaux encourageants sont apparus au fil de l'année. L'OCDE a constaté que l'économie mondiale résiste mieux que prévu aux tarifs de Donald Trump, bénéficiant d'investissements importants dans l'intelligence artificielle et de politiques budgétaires et monétaires favorables. En juillet, le FMI a relevé ses prévisions de croissance mondiale à 3 % pour 2025, soit 0,2 point de pourcentage de plus que sa prévision d'avril. En octobre, la prévision de croissance américaine a été légèrement rehaussée à 2 %, contre 1,8 % en avril.
Opportunités pour les investisseurs français
Malgré un contexte difficile, certains acteurs voient des opportunités émerger. Renaud Guillerm, de Side Capital, déclare que « pour les start-ups qui participent à la souveraineté de la France ou de l'Europe, il y a clairement des opportunités à saisir ». La politique de Trump a rappelé à l'Europe la nécessité de renforcer sa souveraineté technologique et industrielle.
Pour les investisseurs particuliers, les experts recommandent plusieurs stratégies : diversification sectorielle en privilégiant les valeurs défensives (services publics, télécommunications), exposition partielle à l'or et aux devises refuges (franc suisse, yen), et entrée progressive sur les marchés pour répartir le risque. Les obligations européennes sont également considérées comme une option attractive dans cet environnement volatile.
Julien Marcilly, chef économiste chez Global Sovereign Advisory, note que « des pays comme l'Allemagne et l'Italie sont beaucoup plus impactés, exposés à l'économie américaine » avec un excédent commercial représentant « à peu près 2 % de leur PIB », comparativement à un niveau « beaucoup plus faible pour des économies comme la France et l'Espagne ». Cette moindre exposition relative de la France pourrait constituer un avantage comparatif dans la zone euro.
Vers une nouvelle architecture commerciale mondiale
Au-delà des chiffres économiques, la guerre commerciale de Trump redéfinit l'architecture du commerce mondial. L'Europe accélère ses négociations commerciales avec le Canada, le Japon et la Corée du Sud, tandis que l'accord de libre-échange avec le Mercosur (bloc commercial sud-américain) créerait la plus grande zone de libre-échange au monde. Le processus de ratification est désormais officiellement en cours.
La Chine, de son côté, renforce ses liens avec l'ASEAN, devenu son principal partenaire commercial bilatéral ces dernières années, dépassant l'Union européenne. Entre 2017 et 2023, alors que la Chine connaissait une baisse de sa part d'exportations vers les États-Unis, cette diminution a été compensée par une augmentation des exportations vers les économies de l'ASEAN.
Cette reconfiguration des flux commerciaux crée un système commercial mondial « moins efficace et plus opaque », selon le CEPR, mais pourrait également ouvrir la voie à de nouvelles alliances économiques et à un ordre multipolaire où l'Europe jouerait un rôle plus central.
Ce qu'il faut surveiller
Plusieurs développements clés méritent l'attention des investisseurs français dans les mois à venir :
- Les prochaines décisions de la Réserve fédérale américaine et leur impact sur le dollar, qui pourrait affecter la compétitivité des exportations européennes
- L'évolution de l'accord de Turnberry et d'éventuelles nouvelles phases de négociations UE-États-Unis
- Les élections et changements politiques en Europe qui pourraient influencer la réponse collective aux tarifs américains
- Les décisions juridiques aux États-Unis concernant la légalité des tarifs imposés par décret présidentiel (plusieurs cas sont en cours d'appel, dont une audience à la Cour suprême tenue le 5 novembre)
- Les statistiques trimestrielles de croissance du PIB français et européen pour évaluer l'impact réel des tarifs
- Les résultats des entreprises françaises exposées au marché américain, notamment dans l'aéronautique, le luxe et les spiritueux
L'issue de cette guerre commerciale reste incertaine, mais une chose est claire : l'ère de la mondialisation sans friction est révolue. Les investisseurs français doivent désormais naviguer dans un monde où le risque géopolitique est devenu une variable centrale de toute stratégie d'investissement.