Contexte et enjeux
Le cuivre, surnommé « docteur Copper » pour sa capacité à diagnostiquer la santé de l'économie mondiale, vient de franchir un nouveau sommet historique. Le 5 décembre 2025, le métal rouge a atteint 11 705 dollars la tonne sur le London Metal Exchange (LME), consolidant une progression de plus de 30 % depuis le début de l'année. Cette envolée spectaculaire reflète une conjonction rare de facteurs : des perturbations de production majeures dans trois des plus grandes mines mondiales, une demande soutenue par la transition énergétique, et un mouvement de stockage préventif aux États-Unis en anticipation de potentiels tarifs douaniers.
Pour les investisseurs français, ce record s'inscrit dans une tendance haussière plus large des matières premières industrielles et soulève des questions sur les opportunités d'investissement dans les métaux de base, alors que la transition vers l'électrification et les énergies renouvelables accélère.
Les faits clés
Un record pulvérisé en cascade
Les contrats à trois mois sur le LME ont touché 11 705 dollars la tonne le 5 décembre, après avoir brièvement dépassé 11 400 dollars mercredi lors de la séance matinale. Le métal a clôturé vendredi à 11 620,50 dollars, en hausse de 1,5 % sur la séance. Cette performance porte le gain annuel du cuivre au-delà de 30 %, surperformant la plupart des autres métaux de base.
Trois catastrophes minières convergentes
La flambée des cours s'explique en grande partie par une série de perturbations de production d'une ampleur inhabituelle :
- Mine de Grasberg (Indonésie, Freeport-McMoRan) : Le 8 septembre 2025, une coulée de boue catastrophique a envahi la mine souterraine de Grasberg Block Cave, causant la mort de deux employés et laissant cinq personnes disparues. Environ 800 000 tonnes de matériau humide ont pénétré dans plusieurs niveaux de la mine. Freeport-McMoRan a déclaré la force majeure le 20 septembre et prévoit une réduction de 35 % de sa production 2026 par rapport aux estimations pré-incident, passant d'environ 1,7 milliard de livres de cuivre à environ 1,0 milliard de livres.
- Complexe Kamoa-Kakula (République démocratique du Congo, Ivanhoe Mines) : Le 18 mai 2025, des inondations provoquées par une activité sismique ont forcé la fermeture de la mine souterraine Kakula. Ivanhoe a réduit ses prévisions de production 2025 de 28 %, ramenant sa guidance de environ 520 000 tonnes à une fourchette de 370 000 à 420 000 tonnes. La mine a repris partiellement ses opérations le 7 juin à environ 50 % de sa capacité nominale.
- El Teniente (Chili, Codelco) : Le 31 juillet 2025, un accident dans la nouvelle section Andesita a tué six travailleurs et blessé neuf autres, marquant le pire accident minier au Chili depuis trois décennies. La production d'août a chuté de 25 % sur un an à 93 400 tonnes, un plus bas de vingt ans pour le producteur étatique chilien. Codelco estime désormais les pertes de production 2025 à 48 000 tonnes, révisées à la hausse de 33 000 tonnes initialement.
Inventaires au plus bas et retraits massifs
Les stocks disponibles sur le LME ont chuté à 105 275 tonnes le 2 décembre, leur niveau le plus bas depuis juillet, en baisse de 42 % sur l'année. Le retrait le plus spectaculaire provient du négociant Mercuria Energy Group, qui a ordonné le retrait d'environ 50 000 tonnes de cuivre des entrepôts LME pour une valeur estimée à 500 millions de dollars, la plus importante opération de retrait en une décennie selon Bloomberg.
L'analyste Nour Al Ali de Bloomberg a souligné que « l'ampleur de ces retraits LME indique que l'offre disponible s'épuise plus rapidement qu'auparavant, et cela soulève la perspective d'une tension accrue dès le début de l'année prochaine ». Environ 60 % des stocks mondiaux se trouvent désormais dans les entrepôts Comex aux États-Unis, reflétant un mouvement d'accumulation préventive avant d'éventuels tarifs douaniers.
Analyse approfondie : une tempête parfaite
L'effet tarifs américains : stockage préventif
L'un des catalyseurs immédiats de la flambée des prix est l'anticipation de tarifs douaniers américains sur le cuivre raffiné. Alors que l'administration américaine envisage d'imposer des taxes sur les importations de métaux, les acheteurs précipitent les livraisons vers les ports américains. Ce phénomène crée une tension artificielle sur les marchés hors États-Unis, même si l'offre globale reste relativement équilibrée à court terme.
Jane Street et d'autres analystes notent qu'« il n'y a pas de pénurie de cuivre aux États-Unis, mais il y a une tension croissante partout ailleurs dans le monde alors que le métal continue de graviter vers » les États-Unis face à l'incertitude continue sur l'imposition potentielle de tarifs d'importation.
La transition énergétique : un moteur structurel
Au-delà des facteurs conjoncturels, la demande de cuivre bénéficie d'une transformation structurelle de l'économie mondiale. Les véhicules électriques nécessitent entre 80 et 100 kg de cuivre par unité, contre seulement 20 à 25 kg pour un véhicule conventionnel. La demande liée aux VE est projetée à 1,2 million de tonnes pour 2025.
Les énergies renouvelables amplifient cette tendance : les éoliennes requièrent jusqu'à 8 tonnes de cuivre par mégawatt installé, tandis que les installations solaires et leurs infrastructures de réseau consomment des quantités importantes du métal rouge. Selon Fitch BMI, la capacité solaire mondiale a bondi de 212 GW au premier semestre 2025, presque le double sur un an, tandis que les ventes de véhicules électriques ont progressé de 33 % à 5,4 millions d'unités.
Le secteur de l'énergie propre représente actuellement 25 % de la demande mondiale de cuivre, une proportion qui devrait atteindre 61 % d'ici 2040 selon les projections sectorielles.
Le rôle pivot de la Chine
La Chine, qui représente 60 % de la consommation mondiale de cuivre et traite 45 % de la production globale, joue un rôle ambivalent dans la dynamique actuelle des prix. D'un côté, la demande chinoise montre des signes de faiblesse saisonnière avec l'arrivée de l'hiver. De l'autre, les fonderies chinoises ont annoncé des réductions de production supérieures à 10 % d'ici 2026 pour lutter contre la surcapacité et des frais de traitement devenus insoutenables.
Les frais de traitement (TC/RC) ont chuté de 70 % sur un an à 21,25 dollars la tonne métrique pour 2025, reflétant une pénurie sévère de concentré de cuivre. Les négociations entre le mineur chilien Antofagasta et les fonderies chinoises ont abouti à ce niveau historiquement bas, soulignant le déséquilibre structurel entre l'offre de minerai et la capacité de raffinage.
Perspectives d'experts : divergences marquées
Les haussiers : Citigroup et Mercuria
Citigroup, par la voix de son analyste Max Layton, adopte un ton résolument optimiste. La banque prévoit un prix moyen de 13 000 dollars la tonne au deuxième trimestre 2026, avec un scénario haussier atteignant 14 000 dollars. « Nous avons la conviction que le cuivre va progresser jusqu'en 2026, soutenu par de multiples catalyseurs haussiers, notamment un contexte fondamental et macroéconomique de plus en plus constructif », a déclaré l'équipe de Layton.
Citigroup anticipe une hausse de 2,5 % de la consommation mondiale d'utilisation finale l'année prochaine, portée par un environnement de taux d'intérêt plus bas, l'expansion budgétaire américaine, le réarmement européen et la demande liée à la transition énergétique. Le stockage préventif avant les tarifs américains renforce ce scénario haussier à court terme.
Mercuria Energy Group, qui a orchestré le retrait massif de 50 000 tonnes du LME, anticipe « une pénurie mondiale majeure dès le premier trimestre de l'année prochaine », avec des prix pouvant atteindre des territoires inexplorés.
Les baissiers : Goldman Sachs tempère
À l'opposé du spectre, Goldman Sachs conteste la soutenabilité des prix au-dessus de 11 000 dollars. La banque d'investissement soutient que la flambée actuelle repose sur « l'anticipation d'une tension future du marché, plutôt que sur les fondamentaux actuels ». Goldman maintient que l'offre mondiale de cuivre reste adéquate malgré la tension récente.
L'analyste prévoit que le cuivre évoluera dans une fourchette de 10 000 à 11 000 dollars tout au long de 2026, sans pénurie mondiale attendue avant au moins 2029. Goldman projette seulement un surplus modeste de 160 000 tonnes l'année prochaine et souligne que la demande chinoise pourrait décliner de près de 8 % en glissement annuel au quatrième trimestre, sapant le récit haussier. Les fondamentaux actuels ne justifient pas des prix soutenus à des niveaux record, selon leur analyse.
Les pragmatiques : Fitch BMI et la vision à long terme
Fitch Solutions BMI adopte une position intermédiaire. La firme a relevé sa prévision de prix moyen 2025 à 9 650 dollars la tonne, en hausse de 9 500 dollars précédemment, reconnaissant que le cuivre se négocie actuellement au-dessus de 10 000 dollars. Cependant, Fitch maintient une perspective haussière à long terme, projetant des prix atteignant 17 000 dollars la tonne d'ici 2034, portés par des déficits chroniques dans un contexte d'électrification accélérée et de développement des infrastructures d'énergie renouvelable.
Implications pratiques pour les investisseurs
Opportunités d'exposition au cuivre
Pour les épargnants et investisseurs français cherchant à s'exposer au cuivre, plusieurs véhicules existent :
- ETF sur matières premières : Des fonds négociés en bourse suivent le prix du cuivre ou d'un panier de métaux industriels. Ces instruments offrent une exposition directe aux variations de prix sans nécessiter de détention physique.
- Actions minières : Les sociétés productrices de cuivre comme Freeport-McMoRan, Southern Copper, Glencore ou Antofagasta offrent une exposition indirecte avec un effet de levier opérationnel, mais comportent des risques spécifiques liés à la gestion et aux opérations.
- Fonds thématiques transition énergétique : Certains fonds ESG ou thématiques incluent une allocation aux métaux de transition énergétique, combinant exposition au cuivre et diversification sectorielle.
Risques à considérer
Les investisseurs doivent néanmoins rester vigilants face à plusieurs risques :
- Volatilité élevée : Les matières premières connaissent des fluctuations de prix importantes à court terme, pouvant entraîner des pertes substantielles.
- Incertitude macroéconomique : Un ralentissement économique mondial, particulièrement en Chine, pourrait affaiblir la demande et faire chuter les prix.
- Résolution des disruptions : Le redémarrage complet des trois mines affectées pourrait augmenter l'offre et atténuer les pressions haussières.
- Incertitude tarifaire : Si les États-Unis n'imposent finalement pas de tarifs sur le cuivre, le mouvement de stockage préventif pourrait s'inverser brutalement.
Ce qu'il faut surveiller
Dans les semaines et mois à venir, plusieurs indicateurs clés méritent une attention particulière :
- Décisions tarifaires américaines : Toute annonce officielle concernant des tarifs sur le cuivre raffiné aura un impact immédiat sur les prix et les flux commerciaux.
- Redémarrage des mines : Les calendriers de reprise à Grasberg (T2 2026 visé), Kamoa-Kakula (progression du pompage à 70 % à l'ouest, 60 % à l'est) et El Teniente (trois ans pour retrouver les niveaux pré-accident) influenceront l'équilibre offre-demande.
- Données de demande chinoise : Les statistiques mensuelles de consommation et de production de cuivre raffiné en Chine fourniront des signaux sur la santé de la demande mondiale.
- Inventaires LME et Comex : L'évolution des stocks d'échange donnera des indications sur la tension physique du marché.
- Développements dans les VE et énergies renouvelables : L'adoption des véhicules électriques et les investissements dans les infrastructures vertes, notamment en Europe et en Chine, détermineront la trajectoire de la demande à moyen terme.
Conclusion
Le record historique du cuivre à 11 705 dollars la tonne cristallise les tensions actuelles sur les marchés des métaux industriels. Entre les disruptions minières majeures réduisant l'offre, la demande structurelle liée à la transition énergétique, et les facteurs conjoncturels comme les craintes de tarifs américains, le métal rouge se trouve à la croisée de multiples forces haussières.
Si Citigroup et d'autres analystes haussiers anticipent une poursuite de l'envolée vers 13 000 dollars ou au-delà, Goldman Sachs rappelle que les fondamentaux actuels ne justifient peut-être pas des prix durablement au-dessus de 11 000 dollars. La vérité se situe probablement entre ces deux extrêmes : une tension à court terme réelle, exacerbée par des facteurs spéculatifs et géopolitiques, mais soutenue par une tendance haussière structurelle à long terme liée à l'électrification mondiale.
Pour les investisseurs français, le cuivre offre une exposition à la fois à la reprise économique mondiale et à la révolution énergétique en cours. Néanmoins, la volatilité inhérente aux matières premières et les incertitudes géopolitiques commandent une approche prudente et diversifiée, privilégiant les allocations mesurées dans le cadre d'un portefeuille équilibré.